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maintenir à cette hauteur, Keltil dut recourir à des moyens qui sentaient la dictature. Une réaction aristocratique et particulariste éclata chez les Arvernes eux-mêmes sous la direction d’un frère de Keltil, nommé Gabanition. Victorieux, il fit condamner son frère par une assemblée du peuple comme aspirant à la tyrannie, et Keltil mourut dans les flammes.

Ce sombre drame relégua le jeune Vercingétorix dans une obscurité relative. Il fut le témoin passif des premières campagnes de César, qui n’eut pas, dans les premiers temps, à s’inquiéter de la cité arverne. Il est à croire que, comme ailleurs, il avait capté la bienveillance de ses chefs par des avances et des promesses de protection, ce qui fit plus tard accuser notre héros d’avoir accepté les bienfaits du général romain. Du reste nous savons que c’est surtout au sein du puissant canton des Éduens qu’il cherchait son point d’appui politique. Mais, lorsque Vercingétorix paraît sur la scène, on le voit en possession d’un plan si arrêté, si bien conçu, qu’il a dû le mûrir en silence pendant les cinq ou six années qui s’écoulent depuis l’entrée de César dans la Gaule, en 58, jusqu’au moment du grand appel aux armes.

César était donc parti pour l’Italie, où il voulait passer l’hiver de 53 à 52. La Gaule, bien loin d’être abattue ou résignée, était en pleine fermentation. Les esprits étaient arrivés à ce point d’exaltation où la patience devient impossible. On ne pouvait plus douter du dessein de César d’asservir la patrie gauloise. La rigueur avec laquelle il avait réprimé, la révolution plébéienne des Carnutes, le supplice immérité du patriote Acco, mis à mort par ses ordres, avaient indigné ces populations jusqu’alors si tranquilles. Le plan qui fut arrêté dans les conciliabules nocturnes des partisans de l’indépendance dénotait une grande habileté. Il était convenu qu’on profiterait de l’hiver, de l’absence de César, de la dispersion des légions, pour lever partout l’étendard de la liberté. Les Carnutes donneraient le signal. Aussitôt la grande armée gauloise, recrutée depuis plusieurs mois dans les conditions d’un secret admirablement gardé, accourrait de tous les points du territoire pour se concentrer chez les Arvernes, attaquer les légions isolément, couper à César la route du retour en Gaule et révolutionner la Province elle-même, dont la réintégration dans la patrie gauloise paraissait avec raison indispensable. L’Aquitaine n’entendait pas s’isoler. Luctère, chef des Cadurques (Quercy), patriote entreprenant et dévoué, garantissait sa coopération et s’était chargé principalement de la Province. La Belgique, bien que terriblement éprouvée, ferait de son mieux.

Tout s’exécuta avec une ponctualité jusque-là bien étrangère au caractère gaulois. En janvier de l’an 52 avant notre ère,