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n’était pas son ennemie naturelle, elle était son ennemie politique. Il s’agissait de l’abaisser, mais non pas de l’anéantir, et les suites devaient prouver s’il était sage à la France de laisser les Hohenzollern déposséder les Habsbourg de leur antique prépondérance en Allemagne. Or ces suites, on prouverait aisément, par le témoignage de la Correspondance secrète et par celui de la Correspondance de Bernis et de Choiseul, que Louis XIV les prévoyait et qu’il savait clairement les atteintes qu’en recevrait l’équilibre européen. « Nous serons peut-être longtemps embarrassés, disait-il dès 1757, d’avoir remis entre les mains du roi de Prusse les intérêts et le secret du parti patriotique en Pologne. » La faute fut d’entreprendre la lutte sans avoir ni crédit, ni soldats, « ni généraux, ni ministres, » comme l’avoue l’abbé de Bernis, ministre lui-même, avec une naïve humilité qui désarme. Une plus grande faute fut de s’y acharner. Pourtant, parce que de honteuses défaites ont marqué dans notre histoire chaque année de la guerre de sept ans, ce n’est pas à dire que la pensée de cette guerre fût vraiment impolitique. Une réhabilitation de Louis XV ou de Mme de Pompadour nous importe peu sans doute : mais il nous importe beaucoup que le succès ne devienne pas la mesure du juste et de l’injuste, du politique et de l’impolitique.

Aussi bien n’est-ce pas là de ces questions que l’on puisse discuter et résoudre en passant. Il y faudrait d’ailleurs bien des documens dont les archives d’état n’ont pas encore livré le secret. Le lecteur aura pu voir que le livre de M. d’Arneth en contenait un bon nombre, et juger de leur intérêt par les quelques emprunts que nous y avons faits. On peut dire que, de 1740 à 1776, il n’est pas une période de l’histoire d’Allemagne ni un épisode de l’histoire d’Autriche sur lequel les pièces et le récit de M. d’Arneth ne jettent une même et vive lumière. Notre histoire nationale, elle aussi, en est parfois éclairée d’une manière inattendue ; mais empressons-nous d’ajouter que, quand cette dernière raison. ne se joindrait pas à toutes les autres, quiconque lira cette grande Histoire de Marie-Thérèse, arrivé au terme de ces huit volumes, ne formera sans doute qu’un souhait, c’est que l’auteur mette bientôt la dernière main à son œuvre, et la termine comme il l’a commencée.


FERDINAND BRUNETIERE.