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votre âme pourront vous inspirer, vous serez encore bien éloigné de sentir ce qui s’est passé dans la mienne en recevant le portrait de sa majesté impériale. Je suis comblée de cette marque infinie de bonté ; mon cœur, accoutumé à compter et à admirer respectueusement les grâces surnaturelles de l’impératrice, n’osait se flatter qu’elle daignât les étendre jusqu’à moi… » Le même courrier partait à Vienne une lettre de la marquise à Marie-Thérèse, ainsi conçue : « Madame, m’est-il permis d’espérer que votre majesté impériale daignera recevoir avec bonté mes très humbles remercîmens et les expressions de la respectueuse reconnaissance dont je suis animée pour l’inestimable portrait qu’elle m’a fait remettre. S’il ne fallait, madame, pour mériter ce don précieux, qu’être pénétrée jusqu’au fond de l’âme de l’admiration pleine d’enthousiasme qu’inspirent les grâces séduisantes et les vertus héroïques de votre majesté, personne sans exception n’en serait plus digne que moi… Vous êtes accoutumée, madame, à voir dans tous ceux qui ont le bonheur de vous approcher les sentimens que j’ai l’honneur de vous exprimer, mais j’espère que votre majesté daignera distinguer les miens et les regarder comme une suite du très profond respect avec lequel je suis, etc. »

Le chancelier fit-il quelques efforts pour arracher à Marie-Thérèse une réponse autographe à ce remercîment ? Nous l’ignorons, mais M. d’Arneth affirme ici que les archives impériales n’en ont pas gardé la trace. Le démenti de Marie-Thérèse subsiste donc. Peut-être, à la vérité, trouvera-t-on que l’impératrice force un peu l’expression quand après ces mots, dans la lettre citée : « jamais une lettre, ni que notre ministre ait passé par son canal, » elle ajoute en appuyant : « jamais aucune intimité. Ce canal ne m’aurait pas convenu. » Le ton des lettres de Kaunitz proteste éloquemment, et ce sont certainement des soupers « intimes » que ces soupers de Versailles, où l’on porte de si bon cœur la santé de l’impératrice et, comme on l’a vu plus haut, où Starhemberg, selon ses propres expressions, croit retrouver des compatriotes. Ce n’est là du moins, semble-t-il, ni la froideur ordinaire ni le décorum accoutumé des relations diplomatiques. Il n’est pas douteux non plus que Mme de Pompadour ait été le premier intermédiaire entre les deux cours. Nous serons cependant ici moins sévère que M. d’Arneth pour le langage de Marie-Thérèse. L’impératrice avait ses raisons politiques. Mais, en outre, il nous semble qu’elle ne saurait être responsable des formules de politesse de son chancelier, surtout quand ce chancelier mettait publiquement une part de sa gloire à cacher « la profondeur de ses desseins sous des dehors frivoles. » Et pour Starhemberg, on avouera que de Vienne à Paris il n’était pas facile de régler à l’étiquette l’attitude qu’il devait garder en face d’une femme de qui l’on attendait beaucoup, toute-puissante sur Louis XV, qui faisait et défaisait les ministres,