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pyramides et couverts de fleurs de nénufars ; tout autour étaient étalés des fruits, de la cire, des vêtemens, des parasols, destinés à être offerts le lendemain en présens dans la pagode. Cinq bonzes, assis les jambes croisées, l’éventail en écran devant leurs figures, pour se conformer à la règle disciplinaire qui leur interdit la vue des femmes, récitaient des versets que les assistans répétaient en chœur. Dans la pièce voisine, les jeunes filles préparaient le festin qui devait clore la fête. Bientôt les robes jaunes se retirèrent discrètement. On fit alors circuler de petites coupes pleines d’eau-de-vie de riz, et deux musiciens préludèrent aux réjouissances par un de ces airs vifs et bien rhythmés que les Cambodgiens ont empruntés aux Chinois et qui trouveraient très bien leur place dans un de nos ballets modernes. Un autre virtuose, qui jouait d’une sorte d’orgue formé de longs tuyaux de bambous, fit ensuite entendre une mélodie lente et simple d’où se dégageait ce charme mélancolique particulier à la musique orientale. Puis, après quelques lazzis d’un bel esprit de la bande qui parurent égayer fort l’assemblée, une espèce d’aède raconta les aventures amoureuses du chanteur Ek et de la belle Théau, drame lugubre qui s’accomplit il y a plus d’un siècle sous le règne de Prea-Reem et qui a gardé le privilége de passionner toujours à nouveau un auditoire naïf et prompt à ce genre d’émotion.

Quelques jours après, la mission, obligée de suspendre les fouilles de Méléa, à cause des pluies torrentielles qui avaient inondé le champ de ses explorations, prenait la route de Siem-Reap, pour visiter au passage les ruines de Phnom-Boc. Là, près de trois tours massives, nous attendait une découverte des plus précieuses. Nous venions d’entrer dans un édicule obscur, d’où la lueur de nos torches avait fait envoler des centaines de chauves-souris ; celles-ci, établies depuis des siècles peut-être dans ce réduit, y avaient déposé une couche de guano qui remplissait presque entièrement l’intérieur de la galerie. Des débris de cierges ayant attiré notre attention, nous déblayâmes le sol, et bientôt nous vîmes apparaître un morceau de grès d’un grain très fin, sculpté en forme de chignon, une calotte de cheveux tressés, puis une figure, et enfin le reste d’une tête ; ces différentes pièces isolées se raccordaient par des surfaces polies. En continuant de fouiller, nous mîmes successivement à découvert une seconde tête fort belle, à quatre faces, et une troisième coiffée d’un casque. L’eau qui affluait en abondance dans l’excavation déjà profonde nous contraignit d’arrêter là nos recherches. Nos indigènes, ne reconnaissant dans aucune de nos trouvailles le saint de leurs sanctuaires et n’y voyant que des images d’arreaks, simples génies sans importance, ne firent nulle difficulté de se charger de ce triple fardeau. Quant à nous, nous ne pouvions