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le capitaine Vérig en cellule pendant une demi-heure : punition arbitraire et dérisoire qui laissait subsister le danger et ne rassurait personne. Le surveillant Pinet, qui était à la tête du complot d’évasion, prit une de ces bombes meurtrières et la mit dans sa poche, en se disant : Ça peut servir ! Le soir, vers huit heures, ainsi qu’il avait été convenu, le maréchal des logis Geanty reçut la visite attendue. Pinet lui dit : — Eh bien ! qu’allons-nous faire ? — Geanty hocha la tête, il paraissait fort perplexe et était très ému ; il haussait les épaules comme un homme indécis et ne pouvait se résoudre à répondre. Le surveillant insista ; le canon qui, pendant toute la nuit du 25 au 26 mai, ne cessa de gronder dans Paris, semblait appuyer ses paroles. Geanty écoutait, regardait fixement son interlocuteur comme s’il eût voulu lui arracher une résolution qu’il ne trouvait pas en son propre cœur. Enfin il dit : — Non, c’est impossible ; ce serait trop périlleux, je ne puis exposer la vie de mes camarades à une telle aventure ; nous sommes de vieux soldats, jamais nous n’avons fait de mal à personne, pourquoi la commune nous en ferait-elle ? — C’était presque textuellement le mot de l’abbé Deguerry, le mot de tous ces malheureux qui cherchaient un motif plausible à leur arrestation et ne pouvaient admettre la possibilité d’un crime incompréhensible. — Plaise à Dieu, lui dit Pinet en le quittant, que vous n’ayez jamais à regretter votre décision. — Le maréchal des logis a dû le lendemain, lorsqu’il gravissait la rue de Belleville au milieu des injures et des coups, se rappeler que le salut eût été possible et comprendre trop tard que, dans certains cas, l’énergie désespérée est supérieure à la résignation.

Le refus de Geanty faisait avorter le projet des surveillans. Les bruits les plus sinistres étaient colportés dans le quartier de la Roquette. On disait que ce serait trop long de fusiller les otages incarcérés au dépôt des condamnés et à la maison d’éducation correctionnelle : on ferait sauter les deux prisons, — on les incendierait après avoir fermé les grilles, — on les démolirait à coups de canon à l’aide des batteries que l’on disait installées sur les hauteurs du Père-Lachaise. On répétait que « les Versaillais » ne faisaient pas de quartier, que tout insurgé était fusillé sur place, que l’on tuait les femmes aussi bien que les hommes, et qu’en présence d’une guerre pareille il fallait payer d’audace, mettre à mort les prisonniers qui, à un titre quelconque, avaient appartenu aux gouvernemens précédens. L’écho de ces rumeurs avait pénétré à la Grande-Roquette ; les otages, les surveillans, les condamnés eux-mêmes se demandaient s’ils n’étaient point destinés à périr ensemble, sous les dernières fureurs de la commune.


MAXIME DU CAMP.