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UNE MISSION AUX RUINES KHMERS.

khmer ; nous touchions aux ruines de Ponteay-Pracang, les dernières qu’aperçut le commandant de Lagrée dans la rapide excursion qu’il fit de ce côté. D’autres ruines considérables aux environs, la tour Prathcol, la pyramide de l’Éléphant Sacré, indiquent qu’il y eut là jadis une ville importante dont l’emplacement devait offrir matière à d’intéressantes recherches. Le village moderne le plus proche ne se compose que de quelques cabanes. La végétation dans tout ce district est tellement épaisse qu’il est impossible de faire un pas sans tailler devant soi dans le fourré, à l’aide du grand couteau cambodgien, lianes, rotins ou fougères. Enfin, au bout de cinq cents pas dans cette forêt quasi vierge, l’horizon s’entrouvre brusquement, et l’on aperçoit, en travers d’une large nappe d’eau aux rives treillissées d’arbustes et de plantes sarmenteuses, un pont massif en partie enfoui que flanquent des rangées fuyantes d’immenses cariatides moitié femmes et moitié oiseaux (garoudhas). À l’extrémité de cette chaussée, on distingue une haute muraille, des colonnes et un édifice percé de portes ogivales ; çà et là gisent dans l’herbe des pierres brisées, des statues, des corps de lions ; hors de l’eau émerge un énorme monstre à neuf têtes, fantastique dragon, cent fois plus terrible et plus menaçant d’aspect que les crocodiles qui peuplent ces solitudes. Nous nous engageons sur la chaussée en suivant un sentier frayé par les bêtes fauves, aujourd’hui les seuls hôtes de ces ruines, et mes compagnons, pour qui ce spectacle est tout nouveau, ne peuvent retenir des cris d’étonnement et d’admiration. Nous nous arrêtons sous la porte principale, magnifique construction à trois entrées surmontées de trois tours et précédées de péristyles ; sur les dalles qui couvrent le sol apparaît encore la trace des roues des anciens chars. Nous enjambons par-dessus les éboulis de pierres et nous pénétrons au centre des vastes restes de Ponteay-Pracang. À droite et à gauche sont de petits édifices entre lesquels passait la chaussée, maintenant à peine reconnaissable, que nous continuons de suivre. Elle aboutit à une borne sacrée couverte de figurines alignées comme des soldats. Des racines vagabondes, en pénétrant par d’imperceptibles fissures, ont fait éclater cette curieuse stèle, dont nous recueillîmes plus tard les fragmens. Plus loin, nous trouvons deux grands lions qui se dressent, menaçans, une patte en avant ; la seconde patte antérieure manque. Ces lions debout, les seuls que nous ayons rencontrés dans cette attitude durant tout le cours de notre mission, étaient jadis, paraît-il, l’objet d’une vénération particulière, et la légende dit même qu’au temps de la conquête siamoise les armées ennemies se disputèrent avec acharnement la possession des pattes aujourd’hui disparues, car à la prise de ces talismans était attaché le gain as-