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M. Filoz, capitaine d’infanterie de marine. Le gouverneur de la colonie avait fait communiquer d’avance au roi Norodom le plan des opérations que nous allions tenter ; dès que ce prince les eut approuvées, nous reçûmes nos dernières instructions avec notre ordre de départ.

I.

Le 23 juillet 1873, à huit heures du matin, la canonnière la Javeline et la Chaloupe no 5 quittaient le port de Saïgon. Entraînés par le rapide courant du Donnaï, nous modérons d’abord notre vitesse pour passer au milieu des navires et des barques qui encombrent le large fleuve en aval. À notre droite défilent les vastes constructions de l’arsenal, les quais bordés de maisons et les établissemens de la compagnie des messageries maritimes qui se succèdent sur une ligne de plusieurs kilomètres. En arrière s’étagent sur une petite éminence d’importans édifices publics. L’ensemble offre un coup d’œil qui ne manque pas d’une certaine grandeur.

Nous ne tardons pas à dépasser le village annamite du fort du Sud et les derniers navires au mouillage ; alors seulement nous pouvons faire route à toute vapeur. À plusieurs reprises encore, grâce aux méandres du fleuve, nous apercevons à travers le feuillage des palmiers les toits des plus hautes maisons de la ville et les mâtures des bâtimens de guerre, puis tout cela s’efface et disparaît dans la brume ; nous n’avons plus d’autre horizon que les rives uniformes de la rivière avec sa double bordure de palétuviers.

Pour se rendre de Saïgon à Phnom-Penh, les gros vapeurs de la nouvelle compagnie descendent le Donnaï jusqu’à la mer, puis pénètrent dans le Mékong par l’embouchure supérieure, dont la barre, quoique assez difficile à franchir, offre néanmoins une profondeur d’eau suffisante. Les bâtimens d’un moindre tonnage tels que notre canonnière vont au contraire rejoindre le grand fleuve à la ville de Mytho en suivant l’arroyo de la poste. C’est par ce dernier canal que transite tout le commerce des provinces méridionales du Cambodge, du Grand-Lac et du Laos ; aussi cette voie, très fréquentée, offre-t-elle un spectacle pittoresque et plein d’animation. En toute saison, des sampans annamites, de longues barques cambodgiennes, des jonques chinoises, s’y croisent et s’y enchevêtrent, un vapeur vient-il à passer, les embarcations se serrent, se heurtent, se lancent dans les palétuviers de la rive ou s’envasent avec des craquemens qu’accompagne un étrange concert de cris en toutes langues. Le long du canal, ce n’est qu’une suite presque ininterrompue d’ha-