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UNE MISSION AUX RUINES KHMERS.


Angcor par le commandant de Lagrée, qui, déjà représentant de la France au Cambodge, avait profité de son long séjour dans le pays pour se rendre à plusieurs reprises à l’antique cité et en étudier les monumens principaux. Les rares voyageurs conduits dans cette région par la curiosité ou par les hasards de nos luttes militaires n’avaient pas été sans recueillir quelques statuettes ou quelques morceaux de sculpture en souvenir de leur passage ; le chef de la mission du Mékong avait lui-même rapporté quelques moulages et des pièces de peu d’importance, qui furent offerts après sa mort à l’exposition permanente des colonies, où ils figurent encore aujourd’hui. Ces échantillons, tout au plus propres à éveiller l’attention, ne pouvaient suffire à donner une idée exacte de l’art khmer ; celui-ci, par son ampleur et par sa beauté, méritait mieux que les honneurs d’une simple vitrine où s’entassent dans une confuse promiscuité des collections de toute nature et de toute provenance. Il y avait à créer de ce chef un musée spécial d’antiquités. Réunir les premiers élémens authentiques de ce musée, en visitant les ruines déjà signalées et en fouillant plus avant les régions où l’on était assuré d’en rencontrer d’autres, tel était l’objet de la nouvelle entreprise qu’une subvention généreuse accordée par la direction des beaux-arts allait me permettre de réaliser. Grâce à la sollicitude éclairée du gouverneur de la colonie, les préparatifs furent vite achevés. Au matériel ordinaire de campagne, on ajouta tous les instrumens nécessaires pour dégager les monumens, faire des fouilles, transporter de lourds fardeaux, estamper et mouler les inscriptions et les sculptures ; tout cet attirail fut embarqué à bord d’une canonnière et d’une chaloupe à vapeur, montées par 60 hommes d’équipage.

Si cette excursion d’une nature particulière au travers des immenses et marécageuses forêts du Cambodge offrait en soi de vifs attraits, une expérience répétée du redoutable climat indo-chinois et des difficultés de toute sorte où l’on se heurte en ces contrées, surtout pendant la saison des pluies, m’imposait tout d’abord le choix d’un personnel d’élite. Avec un temps limité et des ressources restreintes, le moindre tâtonnement devenait funeste. Aussi la colonne d’exploration fut-elle composée d’officiers et de marins déjà familiers avec les périls et les aventures d’un semblable voyage ; tous étaient volontaires. M. Bouillet, ingénieur-hydrographe, M. Ratte, ingénieur civil, M. le docteur Jullien, délégué du Muséum, étaient partis de France avec moi ; à notre arrivée à Saïgon, M. le docteur Harmand, médecin de la marine, et M. Faraut, conducteur des ponts et chaussées, furent en outre adjoints à la mission, que rallia plus tard, vers la fin du voyage,