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IV. — JEAN-BAPTISTE JECKER.

Les otages de la quatrième section interrogèrent les surveillans dans la matinée du 25 mai ; quelques-uns de ceux-ci gardèrent obstinément le silence, d’autres, ne pouvant retenir l’élan de leur indignation, racontèrent ce qu’ils avaient vu ou ce qu’ils avaient appris. Vers sept heures, on avait entendu ouvrir le cabanon no 28 ; mais, comme ensuite rien n’était plus venu troubler le repos des détenus, ceux-ci ne s’en étaient pas inquiétés. La cellule qui avait été ouverte était celle de Jecker ; lui aussi, il allait mourir. On se rappelle que la veille Genton, dressant la liste des victimes, avait inscrit le nom du banquier, puis l’avait biffé et remplacé par celui de l’abbé Deguerry. Ceci était un fait réfléchi dont il serait peut-être facile de tirer les conséquences. Pour les politiques de cabaret auxquels appartenaient tous les gens de la commune, la guerre du Mexique avait rapporté une quantité incalculable de millions à ceux qui l’avaient fomentée et entreprise. Or Jecker en avait été pour ainsi dire le principal promoteur, donc il avait tant de millions qu’il ne savait qu’en faire. Il avait été déjà tâté par François, qui, d’un air dégagé, lui avait dit : « — Baste ! vous ne seriez pas embarrassé de donner quelques centaines de mille francs pour être libre. — Jecker avait répondu : — Pour cela, il faudrait les avoir. » — Genton pensa-t-il à une rançon de prisonniers comme aux temps de la chevalerie ? voulut-il simplement tuer Jecker ? nous ne saurions rien dire de positif à cet égard, nous ne pouvons que constater le meurtre. Tout ce que nous affirmons avec certitude, c’est que c’est à Genton lui-même que le malheureux Jecker fut livré ; un des registres de la Grande-Roquette en fait foi, car il porte de la main même de François l’annotation suivante : « Jecker, Jean-Baptiste, prévenu ; par ordre de la commune remis au président de la cour martiale. » Or le président de la cour martiale, c’était Genton. Il ne mit pas beaucoup de personnes dans sa confidence, il vint avec deux amis et prit Vérig, en passant, au poste d’entrée. Quatre exécuteurs, c’était peu pour un personnage auquel on accordait tant d’importance ; mais c’était assez si l’on ne voulait pas éveiller trop de convoitise. L’ordre de remettre Jecker à Genton était signé Ferré.

Jecker, extrait de sa cellule par un surveillant et sur l’injonction du directeur François, fut amené au greffe ; il avait son chapeau à la main et sur les épaules un long paletot de couleur sombre. Il demanda ce qu’on lui voulait ; Genton répondit : — Mais nous voulons vous fusiller, tout simplement. — Jecker devint très pâle et demanda ; — Pourquoi ? — Parce que vous avez été le complice de