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lui a « mandé de France que, ce prélat étant trop vif et remuant, sa sainteté le devra plus appréhender qu’on n’avait fait du cardinal de Richelieu, si, étant fait cardinal, il entrait au maniement des affaires de France, comme l’on dit que cela serait assurément, ces mauvaises affaires-là n’aidant pas à sa promotion. »

Gueffier, qui par ses longs services s’était acquis le droit de tout dire impunément au ministre des affaires étrangères, ne se gênait pas pour blâmer la conduite de l’ambassadeur et pour dire à Brienne que, s’il le rappelait, cela ferait un sensible plaisir au pape. Comme si le bailli eût pris à plaisir d’irriter de plus en plus Innocent X contre lui, il invitait ouvertement à dîner le père du cardinal Mazarin, et à toute occasion il laissait éclater sa mauvaise humeur contre le pontife.

« Je continue toujours à m’abstenir d’aller à l’audience, écrivait-il à Brienne le 29 janvier, croyant qu’il y va de la réputation du roi que j’aille caresser un pape qui, opiniâtrement, persiste à vouloir décrier l’autorité et le parti de sa majesté avec une injustice si manifeste… J’attends toujours les ordres et volontés de sa majesté, et vos commandemens avant que d’en venir à quelque marque de plus grande rupture[1]… » Dans cette même lettre, il prétendait que le retard de la promotion était causé par le procès du sous-dataire Mascambrunî, que l’on instruisait en ce moment même, et qui fut condamné deux mois après à être décapité. Quoi qu’il en soit, le bailli était fort mal renseigné sur les véritables intentions du pape à l’égard du coadjuteur. Peu de jours avant que celui-ci fût nommé cardinal, il soutenait à Brienne qu’Innocent X ne se souciait nullement de lui donner la pourpre. Il constatait enfin que le pape était fort mécontent du retour du cardinal Mazarin, qu’il tenait pour très assuré.

Cependant le comte de Brienne, surpris de l’interruption des visites de l’ambassadeur à Innocent X, lui avait demandé des explications. Le bailli lui répondit que tous les jours d’audience il avait eu soin de se faire excuser auprès du pape sous prétexte qu’il n’avait rien d’important à lui communiquer. « Vous voyez par là, ajoutait-il, que je n’ai marqué aucune rupture, mais seulement voulu faire connaître que nous savons rendre indifférence pour indifférence… Si votre dépêche suivante requiert que je retourne à mes audiences, je le ferai sans difficulté aucune et comme si de rien n’était[2]. » En attendant, il conseillait à Brienne de secouer la bile au pape dans ses dépêches « en remuant la piscine de l’affaire Mascambruni, » et par là « de le remplir de frayeur, » afin de couper

  1. Archives du minist. des affaires étrang. ; Rome, t. CXX.
  2. 5 février 1652.