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intentions pour le coadjuteur allaient devenir inutiles, si le cardinal redevenait maître des affaires, à moins que ses mauvais desseins contre ce prélat ne fussent prévenus par une prompte promotion. Il lui glissa en même temps qu’il avait reçu avis que la révocation de la nomination du coadjuteur était en chemin[1]. À cette nouvelle, le pontife comprit qu’il n’y avait plus de temps à perdre et se promit bien de ne pas se laisser surprendre. Le bailli, de son côté, ne se dissimulait pas que, si quelque chose devait précipiter la promotion, c’était la nouvelle du retour de Mazarin en France. Le pape, écrivait-il à Brienne, n’aura pas de plus grande envie, pour s’opposer à la puissance de M. le cardinal, que « de lui donner en tête M. le coadjuteur et d’affermir le crédit de celui-ci pour énerver celui du premier. » Dans l’ignorance la plus complète des secrètes intentions du pape, le bailli ajoutait qu’il ne croyait pas que la promotion eût lieu prochainement, et, jusqu’au bout, il fut entretenu dans cette illusion par le silence impénétrable d’Innocent X, qui ne doutait pas que la moindre indiscrétion de sa part ne dût porter un coup fatal à la nomination du coadjuteur. Cependant le bailli, qui cherchait sans cesse de nouveaux prétextes pour éviter les audiences du pape, n’avait pas même jugé à propos de faire au pontife, le jour de l’an, une simple visite de pure bienséance. Le bruit courait dans Rome que la véritable cause de sa retraite et de son abstention était qu’il voulait éviter d’entretenir le pape de la promotion du coadjuteur. Ce bruit n’était peut-être pas sans fondement. Que l’on se figure en effet l’étrange embarras du bailli s’il avait été obligé de prier le pape de retarder la promotion, lui qui, jusque-là, l’avait pressé si vivement de la hâter. Il n’ignorait pas d’ailleurs qu’il eût suffi qu’il formât une telle demande pour que le pontife précipitât le dénoûment en faveur de Paul de Gondi. Le sieur Gueffier, agent en sous-ordre des affaires de France à Rome depuis l’année 1601, et qui faisait les intérims de l’ambassade lorsqu’il n’y avait pas d’ambassadeur, croyait que le bruit qui courait dans Rome était fondé. Quant à l’abbé Charrier, il ne paraissait pas y croire et témoignait une confiance aveugle dans la bonne foi du bailli[2]. Gueffier, malgré toutes les sources d’informations où il pouvait puiser, était aussi mal renseigné que l’ambassadeur sur les véritables dispositions du pape à l’égard du coadjuteur. Loin de penser que le pontife lui fût favorable, il le supposait fort éloigné de lui accorder le chapeau. On a donné de nouvelles informations au pape de l’esprit du coadjuteur, écrivait-il à Brienne le 8 janvier. On

  1. Mémoires de Guy Joly.
  2. Bibl. nat., Colbert, 361, Ve, T. VI. Lettre du bailli de Valençay a Brienne.