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Dans la lettre suivante, du 19 janvier, le coadjuteur engageait l’abbé Charrier à faire en sorte que le pape ne pût se douter qu’il existait un traité secret entre lui, Paul de Gondi, et Mazarin, ce qui eût infailliblement empêché le pontife de lui donner le chapeau.

«… Il court ici un bruit que le pape fera une promotion pour ses créatures sans en faire pour les couronnes ; à quoi je ne vois point d’apparence. Je suis comme persuadé que ma nomination ne sera pas sitôt révoquée. Vous savez ce que je vous ai mandé sur cela par ma précédente, et comme vous devez parler là-dessus. Surtout prenez garde de ne pas faire paraître que j’aie quelque intelligence avec le Mazarin, car en vérité cela n’est pas, tâchant seulement de me ménager tout doucement…

« Je vois bien que la négociation prétendue de M. le nonce, que vous m’aviez annoncée par votre courrier exprès, est une malice du pape pour vous amuser, le nonce ne m’en ayant encore rien dit.

« L’entrée du Mazarin en France a fait ici de nouvelles affaires. M. le duc d’Orléans semble tourner du côté de M. le prince et se vouloir présentement unir avec lui ; mais c’est avec tant de contrainte que je crois que cette union durera peu, ou qu’elle ne produira pas grand’chose. Quant à moi, je périrai plutôt que de me raccommoder avec ce traître. Pour cela, je n’en suis pas moins bien avec Monsieur ; au contraire, je vous assure que j’y suis toujours au meilleur état du monde, et qu’il m’a considéré comme celui qui doit empêcher M. le prince, duquel il se défie fort, de lui mettre le pied sur la gorge. Le Mazarin a passé à Gien la rivière de Loire, où deux jours auparavant l’on avait refusé l’entrée aux troupes de Monsieur, quoique le gouverneur lui eût répondu de la ville.

« Monsieur est prêt de former un conseil chez lui sur les affaires présentes ; il ne tient qu’à moi d’y entrer. Je ne sais si je le dois faire ; ce n’est pas que je craigne de m’expliquer contre le Mazarin. Je le fais tous les jours dans le public, mais par d’autres raisons et particulièrement parce que je vois que les affaires ne peuvent pas aller assez loin par les biais que l’on y veut prendre, et ainsi je crains d’attirer sur moi les dégoûts des peuples qui peut-être me donneraient le tort des mauvais événemens. Je prendrai là-dessus mes résolutions dans peu. M. de Chavigny sera de ce conseil, et ainsi obligé de paraître publiquement contre la cour, ce qui ne lui est pas fort avantageux. Je lui ai fait donner cette botte. »

Chemin faisant, le coadjuteur racontait à l’abbé les nouvelles du jour : « M. de Nemours[1] arriva ici hier au soir ; il a vu ce matin Monsieur, et doit partir après-demain pour aller commander quelques troupes des princes qui sont sur la frontière ; il a pensé être

  1. Charles-Amédée de Savoie, duc de Nemours.