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II

Retz suivait d’un œil attentif et anxieux la marche du cardinal et la lutte engagée entre M. le prince et les troupes du roi. Ce qu’il redoutait le plus, c’était un accommodement entre Condé et Mazarin, qui eût été le signal instantané de sa révocation. Les lettres qu’il écrivait coup sur coup à Charrier et dans lesquelles il lui faisait part de ses impressions sont d’un bien plus grand intérêt que ses Mémoires sur le même chapitre, puisqu’elles sont écrites au jour le jour et en toute sincérité. Le coadjuteur, se croyant à l’abri derrière un chiffre des plus compliqués et s’adressant à un ami à toute épreuve, ne lui déguise absolument rien et se livre avec le plus complet abandon. Il s’ouvre à lui de ses pensées les plus secrètes, de ses projets, de sa conduite à l’égard de Mazarin, et, chemin faisant, il lui raconte tout ce qui se passe à la cour, dans le camp des princes, au sein du parlement et au Luxembourg. De tels documens éclairent d’un jour définitif cette époque assez obscure de l’histoire de la fronde.

Le 18 décembre, Retz dépêcha un nouveau courrier extraordinaire à l’abbé Charrier pour lui annoncer la grande nouvelle du retour de Mazarin et pour le prier d’en tirer le meilleur parti possible. « Comme je ne vous avais pas déterminé (par le dernier extraordinaire que je vous dépêchai, lui disait-il, et qui vous porta les lettres de son altesse, sur les bruits qui couraient dès lors du retour du cardinal Mazarin), — la conduite que vous deviez précisément tenir sur ce sujet, et qu’ainsi vous n’avez peut-être pas encore hasardé ce dernier remède, à présent que l’on ne doute quasi plus des pensées qu’il a de revenir, que l’on ne dispute presque pas que du temps, et que l’on s’imagine même avec beaucoup d’apparence quelque raccommodement de sa part avec M. le prince, j’ai cru qu’il était temps de faire auprès du pape un dernier effort pour prévenir, s’il se peut, la révocation que je prévois. C’est pourquoi je vous dépêche cet exprès, qui vous rendra trois lettres de son altesse royale, l’une au pape, l’autre à M. le cardinal Pamfili et la troisième à vous, dans laquelle vous verrez à peu près ce que contiennent les deux autres. Quand bien même vous vous seriez déjà servi des premières que je vous ai envoyées sur ce sujet, ne laissez pas encore d’agir de la même manière, en vertu de celles-ci, par l’exposition que vous ferez au pape, incontinent après les avoir reçues, des ordres que Monsieur vous donne aux termes de celle qu’il vous écrit, que vous pourrez même lui faire voir et au cardinal Pamfili, sans pourtant les en rendre maîtres. Vous ferez aussi insensiblement glisser dans le discours quelque, espèce de