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nullement une invention spéculative de la révolution, une institution a priori, c’est une loi historique qui préexistait depuis des siècles et qu’il s’agissait tout simplement de généraliser en excluant les majorats et les privilèges héréditaires, et, ce qui était une conséquence nécessaire, en limitant le pouvoir paternel. Nos lois successorales ne sont donc pas nées, encore une fois, de l’arbitraire des législateurs, de la théorie des philosophes, d’un besoin systématique et spéculatif ; elles ont été la conséquence logique et nécessaire des faits. Ceux qui interprètent la révolution autrement sont dupes de l’apparence et de la forme extérieure : c’est la forme au XVIIIe siècle qui est abstraite et théorique, c’était un des besoins du temps de généraliser et de réduire en principes et en maximes les nécessités sociales que la suite du temps avait amenées. Prenez la déclaration des droits qu’on a tant accusée d’être une théorie métaphysique, vous verrez qu’il n’est pas une de ces maximes abstraites qui soit autre chose que la pure et simple expression des faits sociaux, amenés par le progrès inévitable de la civilisation. Que l’on ait donné à ces faits une expression trop tranchante et trop absolue, cela est possible, quoique cela même eût sa raison ; mais encore une fois, c’est là une affaire de forme plus que de fond. Ce que nous disons ici est particulièrement vrai des lois successorales actuelles, dont la solidité inébranlable vient précisément de ce qu’elles ont été non-seulement l’expression du droit et de la justice, mais encore la conséquence inévitable de l’histoire et du passé.

L’assemblée constituante eut donc à décider entre les deux systèmes déjà signalés : d’une part la liberté de tester, recommandée par la tradition romaine, et à laquelle se rattachait le parti aristocratique, qui y voyait un moyen de reconquérir ses privilèges ; de l’autre le système du partage égal, soutenu par les défenseurs de la révolution. La liberté de tester était défendue par Cazales, et combattue par Mirabeau et par Robespierre : le système intermédiaire qui a prévalu eut pour défenseurs Tronchet, et plus tard, au conseil d’état, Portalis.

Nous ne fatiguerons pas le lecteur par l’analyse de ces discours, qui sont très connus et que l’on peut trouver facilement ; contentons-nous de dégager du débat, comme nous l’avons fait pour la question précédente, les principes philosophiques en présence : de part et d’autre en effet il y a un droit à invoquer, et la conciliation de ces deux droits est un des problèmes les plus graves que le législateur ait à résoudre.

D’une part, il semble bien que le droit de disposer soit la conséquence légitime et logique du droit de propriété. Qu’est-ce qu’avoir une chose en propre, que devient le droit de s’en servir, le