« Les biens du clergé, disait-il, appartiennent aux pauvres. Or l’état est pauvre. Donc ils appartiennent à l’état. »
Telle fut cette discussion mémorable, l’une des plus savantes et les plus profondes qui aient été consacrées à cette question si souvent controversée. Il faut reconnaître que dans cette circonstance, comme dans la plupart des affaires humaines, les raisons philosophiques ont été peu de chose dans la décision : l’intérêt politique et la force des partis ont fait pencher la balance. Cependant, pour le philosophe qui étudie les choses non pas au point de vue de l’histoire et des faits, mais au point de vue du droit et de la justice, rien de plus intéressant que ce plaidoyer des esprits les plus éclairés dans le siècle le plus éclairé qu’on eût jamais vu. Jamais l’esprit humain n’avait creusé avec autant de force et de hardiesse jusqu’aux racines des institutions humaines ; jamais une société n’avait aussi largement exploré le domaine du droit et de la justice. On trouvera peut-être, comme l’abbé Maury, que c’était là bien de la métaphysique pour une question toute politique ; mais l’on peut répondre avec Mirabeau que, « lorsque l’objet d’une discussion est métaphysique, il faut bien l’être soi-même, ou se trouver hors de son sujet. »
La vérité est que ce problème était un problème de métaphysique, et plus encore que ne le croyait Mirabeau, car c’était au fond le problème des réalistes et des nominaux. Quelle était la doctrine soutenue par les partisans du clergé ? C’est que le clergé, comme corps, est propriétaire. Mais que faut-il entendre par là ? Un corps est-il simplement une collection d’individus ? Est-ce à titre de tout collectif que le clergé possédait ? Non sans doute, car c’eût été admettre que chaque individu avait droit, en tant qu’individu, à sa quote-part de la propriété du tout : or c’est ce que personne ne soutenait. Personne en effet ne pensait qu’en cas de dissolution de la société ecclésiastique, la propriété commune dût être partagée entre les associés : personne des membres du clergé ne se prétendait individuellement co-propriétaire du tout. C’était le clergé en général, en tant qu’unité abstraite, en tant que personne morale, et non en tant que collection, qui réclamait le droit de propriété. Or, comme ce qui n’existe pas ne peut pas être propriétaire, c’était donc admettre la réalité des êtres généraux, et, selon l’expression scolastique des universaux, que de soutenir la propriété indivise, incommutable des biens ecclésiastiques. Voilà ce qu’impliquait la thèse du côté droit ; il reconnaissait implicitement l’existence d’une substance abstraite et générale, appelée clergé, dont les ecclésiastiques n’étaient que les modifications transitoires et individuelles.
Les adversaires des biens ecclésiastiques soutenaient au contraire comme Aristote que l’individu est la seule substance, et que par conséquent il est le seul propriétaire réel. Les hommes seuls