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disait-il éloquemment, garantissent les vôtres ; nous sommes attaqués aujourd’hui, vous le serez demain. » Pour prouver le droit de propriété du clergé, il disait que « le clergé n’avait usurpé la possession de personne. » Ces biens sont à nous « parce que nous les avons acquis ou qu’on nous les a donnés. » L’édit même de 1749 que l’on invoque, et qui interdisait de nouvelles acquisitions, avait consacré par là même celles qui avaient été faites antérieurement. Ces biens n’ont pas été donnés au clergé en général, mais à telle église, à telle abbaye. Ils n’ont pas été donnés par la nation, il n’y a pas de raison pour qu’ils reviennent à la nation. D’ailleurs comment pourrait-on remonter à cette institution primitive ? Ne serait-ce pas encourager « toutes les insurrections de la loi agraire ? » Invoquant le même principe et l’appliquant à toutes les propriétés, le peuple demandera à entrer en partage de tous les biens. « Il dira aussi qu’il est la nation. » Les rois n’ont pas donné la vingtième partie de ces biens ; mais, eussent-ils tout donné, ils ont donné ce « titre irrévocable. » Les bénéfices militaires seraient aussi menacés que les bénéfices ecclésiastiques, et les biens de la noblesse n’auraient pas plus de sécurité que ceux du clergé. Un seigneur de village pourrait-il payer ses dettes avec le produit de la cure dotée par lui ? D’ailleurs, suivant Maury, l’opération financière est chimérique ; l’administration absorbe les revenus : on l’a bien vu lors de la suppression des jésuites. Maury combattait encore l’idée d’un salaire ecclésiastique, qu’il considérait comme « avilissant. » Il prétendait que l’avidité mettrait ces fonctions au « rabais, » prédiction que l’avenir n’a nullement réalisée. Il donnait une singulière raison en faveur de la charité par le clergé, c’est que l’aumône rend le peuple docile : « Comment le contenir, demandait-il, si l’on n’a pas la faculté de l’assister ? » La charité ecclésiastique tient lieu d’un impôt immense ; elle est une garantie contre le brigandage : « Qui osera voyager dans les campagnes, si l’aumône ne forme pas une sorte d’assurance patriotique ? » Enfin, développant le mot célèbre de Sieyès : « ils veulent être libres et ne savent pas être justes, » Maury terminait en disant : « vous voulez être libres ; or sans propriété point de liberté. La liberté même n’est que la première des propriétés. »

Ce premier discours de l’abbé Maury, plus spécieux que solide, rempli d’idées fausses et bizarres, mettait cependant le doigt sur l’un des points vifs du problème : pouvait-on toucher à la propriété du clergé sans ébranler le principe de la propriété en général ? Mais l’orateur ne voyait pas ou ne voulait pas voir que la question était plus resserrée, et qu’il s’agissait précisément de savoir si les biens du clergé étaient une propriété. Il ne touchait même pas au point délicat, à savoir si une abstraction peut posséder, si le clergé est un