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ecclésiastiques n’a été qu’une mesure financière. L’origine de la révolution était le déficit. « La banqueroute est à nos portes, » disait Mirabeau. Pour payer les créanciers du trésor, l’assemblée constituante imagina d’aliéner ou de transformer la propriété ecclésiastique. Nous n’avons pas à apprécier la valeur de cette opération, sur laquelle nous sommes incompétent ; mais cette question d’utilité publique soulevait en même temps une question de droit : nul ne peut vendre la chose d’autrui. Si les biens du clergé lui appartenaient en propre, comment l’état aurait-il pu les vendre, même avec indemnité pour les bénéficiaires, même en transformant une propriété de fonds en un salaire perpétuel ? Ainsi la question de propriété était engagée dans le débat, et ce qui rendait ce débat plus compliqué, c’est qu’il s’agissait ici non pas d’individus, mais de corporations. Jusqu’à quel point, dans quelle mesure la propriété corporative est-elle légitime ? tel était le débat engagé. Il l’avait été déjà, on le sait, à l’époque de la réformation, lors de la sécularisation des biens ecclésiastiques. La révolution, comme la réforme, dut rencontrer ce problème : elle le trancha sans hésiter. Il n’y a plus aujourd’hui à revenir sur les résultats ; mais il est du plus haut intérêt d’étudier les raisons invoquées de part et d’autre pour bien comprendre la philosophie de la question.

On ne saurait négliger, en abordant cette étude, de relire un écrit de Turgot, publié dans l’Encyclopédie, et qui eut l’influence la plus décisive sur la résolution de l’assemblée constituante : c’est l’article Fondations. On sait de quelle autorité jouissait Turgot parmi les membres de la constituante. Il avait essayé de faire la révolution pacifiquement : il avait échoué. C’étaient ses idées qui avaient triomphé dans l’établissement du nouveau régime industriel, dans l’abolition du régime féodal[1] ; ce sont encore ses idées qui triomphèrent dans la question ecclésiastique. Ce n’est donc pas Mirabeau, ce n’est pas Talleyrand qui ont frappé la propriété ecclésiastique : c’est le sage Turgot, l’apôtre de la liberté, de la tolérance, du droit de propriété. Il n’hésitait pas à refuser ce droit aux corporations : « Les citoyens, disait-il, ont des droits sacrés » que la société doit respecter parce qu’ils existent « indépendamment d’elle, » et qu’ils en sont « les élémens » nécessaires. Mais « les corps n’existent pas par eux-mêmes ni pour eux ; » ils n’existent que « pour la société, » et ils doivent cesser d’exister « lorsqu’ils ont cessé d’être utiles. » Turgot ne se laissait pas troubler davantage par ce que l’on appelle « l’intention des fondateurs. » Il niait que « des particuliers ignorans et

  1. On sait que Boncerf était un ami de Turgot et en exprimait les idées dans son livre sur les Droits féodaux, brûlé par le parlement de Paris.