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conséquence de la destruction de la féodalité que plus tard, lors du grand débat sur le principe de l’égalité des partages, nul ne vint les défendre. Le parti aristocratique alors, comme aujourd’hui encore, se borna à réclamer la liberté de tester. D’autres suppressions durent suivre du même principe, et quelques-unes de la plus haute importance au point de vue du droit civil : par exemple, l’abolition du retrait féodal ou censuel et du retrait lignager ; ces deux droits, qui consistaient dans la faculté de rachat à perpétuité des terres vendues, étaient au nombre des servitudes qui pesaient le plus sur la propriété. De plus, les rentes féodales devenant rentes foncières et les seigneurs étant changés en simples créanciers, se trouvait rétabli par là même le droit de prescription, que le régime féodal interdisait entre le seigneur et le vassal ; de même enfin la saisie féodale était supprimée, et cédait la place à un simple droit d’action civile contre un débiteur.

Ainsi trois sortes de droits étaient abolis sans rachat : les droits honorifiques, les droits serviles et les droits justiciers ; restaient les droits fonciers, fiefs ou censives, présumés représentatifs d’une concession de fonds ; pour ceux-là, l’assemblée constituante décrétait en premier lieu qu’ils ne devaient être supprimés que contre rachat, et de plus qu’ils devaient continuer à être acquittés jusqu’à rachat effectif. Toute sa théorie sur la propriété féodale se résume dans cette déclaration : « L’assemblée constituante a rempli, par l’abolition du régime féodal, une des plus grandes missions dont l’avait chargée la volonté souveraine de la nation française ; mais ni la nation ni ses représentans n’ont eu la pensée d’enfreindre par là les droits sacrés de la propriété. Aussi, en même temps qu’elle a reconnu avec le plus grand éclat qu’un homme n’a jamais pu devenir propriétaire d’un autre homme, l’assemblée nationale a maintenu de la manière la plus précise tous les droits et devoirs utiles auxquels des concessions de fonds avaient donné l’être, et elle a seulement permis de les racheter. » Merlin, le grand initiateur et organisateur de tout ce système, le résumait en ces mots significatifs : « Les fiefs ont cessé d’être, et sont devenus de véritables alleux. »

L’œuvre de la constituante avait donc été une œuvre de haute et rigoureuse justice. Peut-être, dans les qualifications de tel ou tel droit particulier, y avait-il lieu à débat ; mais le principe de cette liquidation était juste et avait été accepté par les intéressés dans la nuit du 4 août. Abolition du système féodal, respect de la propriété particulière : tels étaient les deux principes de la réforme. Il pouvait y avoir eu des erreurs partielles, l’œuvre en elle-même était inattaquable. Une société ne peut pas rester éternellement