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se chargèrent de l’exécution de ce crime inepte et s’en acquittèrent en conscience, aidés par des fédérés du 174e bataillon et deux compagnies des Vengeurs de Flourens. Toute la place fut bientôt en feu, car non-seulement on brûla l’Hôtel de Ville, mais aussi les bâtimens de l’octroi qui lui faisaient face, et les Archives municipales, et l’Assistance publique, où plus d’un de ces misérables avait tendu une main que l’on n’avait pas repoussée. Dans la matinée du 24, des fédérés du 174e bataillon passaient sur le quai Saint-Bernard et disaient joyeusement : « Nous venons d’allumer le château Haussmann et nous allons à la Butte-aux-Cailles cogner sur les Versaillais. »

La rage du meurtre avait saisi les gens de la commune. Les gardes nationaux n’obéissaient plus qu’à eux-mêmes, soupçonneux, ne comprenant rien à leur défaite, car on leur avait promis la victoire, — criant à la trahison dès qu’un projectile tombait au milieu d’eux, farouches et pris du besoin de tuer. Dans la matinée du 24, un officier qui avait été attaché à l’état-major de Cluseret fait effort pour arriver jusqu’à la mairie du XIe arrondissement. Aux barricades, on l’arrête pour qu’il aide à porter des pavés ; il a beau dire qu’il a des ordres à transmettre et parler de son grade qui doit être respecté, on lui crie : « Aujourd’hui il n’y a plus de galons ! » Quelqu’un dit : « C’est un traître, il est vendu à Versailles. » On le saisit, on le traîne dans une boutique, on le juge, il est condamné à être dégradé et à servir comme simple soldat ; il répond que ça lui est indifférent, et d’emblée on le proclame capitaine. Cette farce, qui n’était que grotesque, tourna subitement au sinistre. Le malheureux sortit ; dès qu’il reparut sur le boulevard Voltaire, on lui cria qu’il était un Versaillais : il fut entraîné dans un terrain vague et tué à coups de fusil. C’était le comte de Beaufort ; on est surpris de sa qualité et on se demande ce qu’il faisait dans cette galère. En regardant de très près dans cette histoire, on découvrirait peut-être qu’elle eut une amourette pour début et une vengeance particulière pour dénoûment.

Delescluze, délégué à la guerre, Ferré, délégué à la sûreté gênérale, s’étaient donc établis à la mairie du XIe arrondissement. Des membres du comité de salut public et de la commune les assistaient. Ces hommes sentaient que tout était fini ; ils n’avaient rien su faire de leur victoire, ils ne se résignaient pas à accepter leur défaite et rêvaient de disparaître dans quelque épouvantable écroulement. Gabriel Ranvier vomissait son fiel et demandait qu’on fit « un exemple, » c’est-à-dire que l’on dépassât toute borne de cruauté. Ce fut alors sans doute que le massacre des otages fut résolu. Delescluze se mêla-t-il à cette odieuse délibération ? On ne le sait ; c’était un sectaire très capable de commettre un crime politique