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de rigueur contre des crimes et des désordres devenus menaçans, et l’on retrouvera par le menu les attentats qui sont réunis dans l’existence de ces deux grands criminels. La procédure avait donc beau se déclarer inexorable, elle trouvait toujours des gens qui s’en riaient, que ce fussent des seigneurs revêtus de quelque charge ou des aventuriers dont l’audace faisait la force, et plus la police gagnait en vigilance et en sagacité, plus les criminels s’ingéniaient en inventions pour s’y soustraire et en scélératesse pour faire disparaître tout ce qui pouvait les trahir.

Voilà comment l’extrême rigueur de l’ancienne magistrature dans la procédure criminelle, au lieu de refréner le crime, ne fit parfois que le susciter. La grandeur du péril est d’ailleurs pour certains hommes un attrait à s’y exposer ; ils trouvent une jouissance particulière à courir des hasards où ils ont l’espoir de faire quelque gros profit : c’est l’histoire du joueur. Bien des malfaiteurs du temps passé furent de ces gens-là : leur vie de crimes était pour eux une source d’émotions fortes qu’ils aimaient, comme le soudard aimait la guerre ; ils prenaient plaisir à braver les menaces de la loi, et plus ces menaces étaient terribles, plus ils mettaient de gloriole à les mépriser pour satisfaire des penchans sanguinaires ou dépravés. Aussi voyons-nous au XVIe et au XVIIe siècle, en dépit des sévérités outrées de la législation criminelle, les larrons pulluler sur les routes, les brigands remplir les forêts, les vols incessamment dénoncés, des actes de vengeance sans nombre mentionnés, les gens de finance commettre d’insolentes concussions, et les hommes de guerre des violences et des rapines indéfinies. Le vagabondage était une pépinière inépuisable de malfaiteurs, et la corruption des mœurs se cachait souvent sous les dehors d’une dévotion qui n’était que superstition ou hypocrisie. En somme, la société fut sous l’ancien régime aussi gangrenée et plus exposée aux entreprises criminelles qu’elle l’est de nos jours, malgré les soins que le législateur mettait à la protéger. Le genre de défense qu’il avait imaginé peut être comparé à ces remparts et à ces tours qui environnaient alors presque toutes les villes : on eût pu croire que de telles fortifications mettaient les habitans plus à l’abri des attaques et des coups de main ; elles avaient pour effet d’entretenir des habitudes de guerre qui multipliaient les périls pour la sécurité de ces mêmes habitans, et sous un régime mieux ordonné nous sommes aujourd’hui plus à couvert et moins inquiets dans nos villes démantelées et ouvertes que l’étaient les bourgeois du moyen âge derrière leurs murs et entoures de leurs fossés.


ALFRED MAURY.