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ordonnée par un sénatas-consulte qui nommait la commission judiciaire chargée d’en connaître (judices quœstionis). En certaines provinces, la coutume autorisa de bonne heure cette intervention du juge ; tel a été, suivant divers auteurs, en Normandie le sens de cette clameur de haro, qui reçut ensuite des acceptions diverses ; elle n’était dans le principe que cette notoriété du crime ou de l’injustice criant réparation et autorisant le magistrat à agir.

Ainsi se créa la police judiciaire et prit naissance le mode d’instruction criminelle qui en fut la conséquence. Le prévôt et même le sergent eurent le droit d’arrêter, mais ils durent dénoncer le cas d’arrestation au bailli, c’est-à-dire au magistrat d’un degré supérieur auquel il appartenait de procéder. L’intervention du prévôt et des autres officiers de police judiciaire devint de plus en plus fréquente ; des criminels pris en flagrant délit, accusés de troubler l’ordre public, de s’être rendus coupables d’attentats, d’énormes méfaits, elle s’étendit aux auteurs présumés de crimes et de délits qui n’avaient point eu à beaucoup près les mêmes conséquences graves, le même retentissement, et les procès auxquels ces arrestations donnaient lieu par la traduction des prévenus devant le juge criminel étaient conduits, non plus d’après le mode de procédure civile, mais suivant un mode exceptionnel, autrement dit extraordinaire. Toutefois les intéressés, la victime ou ses parens, ses ayans cause, gardaient toujours leur droit d’agir et de se porter accusateurs, et l’ancien système n’en subsistait pas moins à côté du nouveau. Ainsi que le remarque judicieusement M. Jules Loiseleur, il a continué pendant des siècles de faire le fond de la procédure chez presque tous les peuples européens ; on le retrouve en Espagne, dans les Siete partidas d’Alphonse le Sage, en Allemagne, dans le code de Charles-Quint, et de nombreux édits de nos rois, depuis l’ordonnance de Charles VII, que l’éminent jurisconsulte Henrion de Pansey qualifie de premier code de procédure qu’ait eu la France, jusqu’à la grande ordonnance criminelle d’août 1670, en reconnaissent encore le principe. Mais l’accusation ne se présenta plus en France, à dater de l’époque où l’intervention du magistrat devint habituelle, sous sa forme directe et primitive ; la dénonciation en prit la place.

C’était une autre façon de procéder dans l’accusation, dont l’église avait fourni le modèle dans ses propres tribunaux. L’accusateur s’exposait franchement à la riposte et à la haine de l’accusé ; le dénonciateur se mettait à l’abri du ressentiment et de la vengeance en laissant au juge le soin d’apprécier au préalable la valeur de cette accusation plus timide. L’emploi de la dénonciation fut admis par le tribunal de l’inquisition dès son institution dans le