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cour de justice les gages de bataille, ils acceptaient la sentence de leurs pairs, ils ne renonçaient pas pour cela tout à fait à user de la force. Le procès n’était guère à leurs yeux qu’une transaction, et la cour qu’une assemblée d’arbitres. S’ils s’en remettaient à la décision de cette cour, c’est qu’ils redoutaient dans la lutte armée un dommage plus grand que celui que leur pouvait apporter une condamnation ; mais si la sentence paraissait inique à celui qu’elle frappait, c’est-à-dire si la partie n’obtenait pas ce qu’elle avait espéré, elle pouvait, comme on disait, fausser jugement, à savoir provoquer le juge qui l’avait condamnée, en l’accusant d’avoir sciemment rendu un jugement inique et menti à sa conscience. Un duel avait lieu, et, si le juge y succombait, sa sentence était annulée et la cause portée devant le tribunal du seigneur immédiatement supérieur. A la barre de la cour où le seigneur était appelé et avait consenti à comparaître, la violence intervenait aussi. Dans le débat public ou cohue judiciaire, chaque juge était requis de dire son avis à haute voix, et il se voyait ainsi exposé aux menaces et aux provocations de celui contre lequel il se prononçait, parfois contraint de soutenir son opinion les armes à la main. L’avocat ou avant-parlier était lui-même en danger d’être pris à partie par l’adversaire de son client, qui se prétendait offensé des paroles qu’il avait fait entendre. Les barons, les nobles, tous ceux qui menaient la vie guerrière et étaient revêtus à ce titre d’une certaine autorité, qui avaient l’habitude de commander et qui abusaient aisément de leur force, ne se soumettaient donc que difficilement à la juridiction de la cour féodale, à celle de l’officier qui représentait le suzerain. Les crimes, les délits commis par eux échappaient sans cesse à la répression. Cette répression n’avait d’efficacité sérieuse que lorsque le coupable était un simple homme libre, un bourgeois, un manant, un vilain, un serf. Qui n’avait pas le privilège de porter l’écu et l’épée trouvait des juges forts et qui lui faisaient dure justice. Dans les villes, avant que les franchises municipales consenties par le seigneur autorisassent les bourgeois à se choisir eux-mêmes des magistrats, le seigneur ou son délégué, assisté d’un certain nombre d’habitans, prononçait sur les causes criminelles comme sur les contestations civiles. L’officier du seigneur, prévôt, bayle, bailli, car son nom varia suivant les lieux, était un juge qui appliquait la coutume et devait, pour ce motif, se faire assister d’un certain nombre de prud’hommes ou de gens suffisans, comme on disait jadis. Le temps avait donné naissance dans chaque province à une jurisprudence traditionnelle particulière qui s’était modifiée çà et là, mais qui gardait plus ou moins l’empreinte de la vieille pénalité barbare. Si des peines