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A côté de ces explorations scientifiques, il y eut d’autres ascensions qui ne se distinguent que par une véritable originalité : de ce nombre sont celles de miss Brevoort et de Marie Couttet, qui, en arrivant au sommet, burent du Champagne et dansèrent un quadrille, de Mlle d’Angeville, qui, ne trouvant pas qu’elle était encore assez haut, se fit porter par ses guides au-dessus de leur tête, enfin de miss Stratton, qui, dans l’hiver de 1875, passa quatre jours sur les glaciers par un froid de — 24 degrés. Dans ce genre fantaisiste, ce sont surtout des femmes qui l’ont emporté.

Le Mont-Blanc a aussi ses hardis pionniers qui ont gravi les hautes cimes sans autre ambition que d’ouvrir une route nouvelle. Sur toutes les routes du Mont-Blanc, dont les plus praticables sont celles de Chamonix, de Saint-Gervais et de Courmayeur, qui ont été le théâtre de tant d’actes de courage et de dévoûment, l’ouvrage de M. Durier, accompagné de cartes et orné des plus belles vues de la montagne, renferme les renseignemens les plus précis. Malgré les accidens, le nombre des ascensions ne fait que s’accroître, et, grâce à l’impulsion donnée par les clubs alpins, il est à croire qu’il ira toujours en augmentant, parce qu’en même temps qu’un plaisir intellectuel l’ascension procure une sorte de volupté physique, parce qu’elle est la source de pures et de nobles émotions, et qu’il semble, comme l’a dit Rousseau, « qu’en s’élevant au-dessus du séjour des hommes on y laisse les sentimens bas et terrestres. »

Quand une fois on a contemplé les montagnes dans leur haute et pleine majesté, et qu’on a vu leurs masses imposantes de rochers où se joue la lumière qui semble les animer, les contrastes puissans qu’elles offrent avec leurs forêts de sapins aux nuances sombres, leurs cascades et leurs torrens, depuis les cimes glacées et mornes jusqu’aux régions chaudes et animées de la base, — ces vallées, « dont chacune présente, souvent dans l’espace le plus borné, une espèce d’univers à part », on ne peut oublier ce spectacle. Le livre de M. Charles Durier, écrit avec un sincère enthousiasme et beaucoup de charme, donnera à ceux qui ne connaissent pas les Alpes le désir de les voir ; ceux qui les ont admirées y retrouveront quelques-unes des émotions qu’ils ont ressenties.


J. BERTRAND.

Le directeur-gérant, G. BULOZ.