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ainsi dire enchaîné à des alliés auxquels il doit des gages, sans lesquels il ne peut rien et qui ne donnent sûrement pas leur concours dans l’intérêt de la république conservatrice ou non conservatrice. Le cabinet ne veut pas être l’instrument des casse-cou de partis, ce n’est pas son intention, nous le croyons, et le voilà aussitôt obligé de livrer l’administration aux serviteurs les plus emportés des systèmes de compression. Le nom de républicain devient sous la république un titre de suspicion et d’exclusion pour des fonctionnaires. Des hommes comme M. Feray, maire depuis trente ans, ne peuvent trouver grâce devant l’orthodoxie de M. le ministre de l’intérieur, et après M. Féray on ne peut pas même souffrir, dans une modeste mairie d’un village de l’Ardèche, un homme des plus respectés, vice-président du sénat, M. le comte Rampon, qui se rattache par ses souvenirs à la monarchie de juillet. Le ministère ne veut pas qu’on le soupçonne de préméditation d’illégalité, et il laisse se produire autour de lui toutes les manifestations conspiratrices, toutes les excitations, tous les appels aux coups d’état, au régime militaire ; en sévissant, il craindrait de frapper des amis. Il parle de l’intégrité constitutionnelle, et à chaque instant il semble séparer de l’ensemble des institutions le pouvoir personnel du chef de l’état ; il a l’air de ne voir dans l’organisation publique de la France que l’autorité de M. le maréchal de Mac-Mahon, à qui tout doit être subordonné. Quelle est aujourd’hui la situation réelle ? Des élections vont être faites après une dissolution de la chambre et un changement complet de politique : c’est dire que le pays pris pour arbitre est appelé à ratifier ou à rectifier dans sa liberté l’acte du 16 mai. Au nom du gouvernement cependant, autour de lui et jusque dans ses publications officielles, on commence par menacer le pays dans l’indépendance de son vote ; on lui répète sans cesse qu’il n’a pas le choix, que, s’il veut éviter une crise perpétuelle, il doit se soumettre, que, s’il renvoie l’ancienne majorité, il y aura encore une dissolution, que M. le maréchal de Mac-Mahon restera quand même avec les hommes qui se sont dévoués à sa politique, — et comme les subordonnés se font volontiers la caricature de leurs chefs, il y a jusqu’à des sous-préfets qui ont promis à leurs administrés de rester avec eux jusqu’en 1880 ! Le ministère tient à faire respecter M. le maréchal de Mac-Mahon, il le doit, nous ne demandons pas mieux ; mais lorsqu’il semble d’avance ne tenir compte de rien, ni du vote du pays, ni du rôle constitutionnel des chambres, n’est-ce pas lui qui compromet le chef de l’état en lui créant une situation impossible, en provoquant cette alternative de soumission ou de démission qu’il juge coupable, qui n’est cependant qu’une réponse à cette autre alternative de la démission ou de la soumission du pays ? Et voilà justement tout ce qui fait le malentendu entre les libéraux constitutionnels et les partisans à outrance du 16 mai. Il n’y a maintenant que les élections pour trancher ou, ce qui vaut mieux, pour pacifier ce différend.