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des gendarmes, des sergens de ville, arrêtés à Montmartre au moment où l’on assassinait les généraux Lecomte et Clément Thomas. Ces braves gens, tous anciens militaires, appartenant à l’élite de l’armée, avaient été si cruellement insultés, frappés, maltraités, qu’ils en avaient conservé un affaissement étrange. Toute force de résistance semblait les avoir abandonnés ; l’idée d’un massacre dont ils seraient victimes les épouvantait et en avait fait des êtres faibles comme des enfans malades. On put le constater avec un douloureux étonnement, à l’heure suprême : nul d’entre eux n’essaya de se soustraire à la mort, ou de lutter contre les assassins ; ils surent mourir et ne surent pas se faire tuer. Malgré le brigadier Bamain, les surveillans étaient fort bons pour les gendarmes, recevaient leur correspondance sans la faire passer par le greffe et ne les laissaient pas manquer de tabac. Quant au vin, ils en pouvaient avoir lorsque François n’avait pas bu celui de la cantine. Le personnel de gardiens était remarquable, très dévoué, plus encore que dans les autres prisons. Cela se comprend ; la Roquette renferme en temps normal des criminels fort dangereux, presque toujours exaspérés d’être condamnés à subir bientôt le très dur régime des maisons centrales et rêvant d’y échapper en commettant quelque nouveau méfait qui pourrait leur valoir la déportation ; pour veiller sur ces malfaiteurs endurcis et prêts à tout, il faut des hommes très disciplinés, très énergiques et en même temps très justes, car ils ne doivent jamais fournir prétexte aux sévices dont trop souvent ils sont les victimes. La commune trouva donc à la Roquette un groupe de surveillans animés d’un excellent esprit ; elle crut s’en être rendue maîtresse en leur imposant François, qui, leur infligea Ramain ; mais elle avait compté sans leur courage, et ce sont eux qui se sont opposés aux derniers massacres projetés. La commune se trompait souvent sur la qualité des hommes qu’elle appelait à la servir, elle en eut la preuve sans sortir du dépôt des condamnés.

Un homme, que nous appellerons Aimé, y subissait une peine de cinq ans d’emprisonnement prononcée contre lui pour faits de banqueroute frauduleuse. Il était entré en prison à une époque voisine de la guerre et les événemens avaient empêché son transfèrement réglementaire à la maison correctionnelle de Poissy. Pendant le siège, une épidémie scorbutique se déclara parmi les détenus de la Grande-Roquette ; Aimé se dévoua sans mesure, fit le métier d’infirmier, et prouva un bon vouloir dont il lui fut tenu compte. Il était assez intelligent, avait une bonne écriture, et il plut à François, qui en fit un commis-greffier. François croyait bien faire un coup de maître, car avoir un homme à soi parmi les détenus, c’est avoir grande