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libre. Mais il arrive quelquefois que les procureurs se trompent ou qu’ils ne sont pas de bonne foi ; en ce cas on fait bien de leur tenir tête, et, dans l’affaire dont nous parlons, il est permis de se demander si les agitateurs socialistes de Berlin ont eu raison de tant crier, ou s’ils n’ont tant crié que parce qu’ils n’étaient pas bien sûrs d’avoir raison.

Parmi les libertés les plus chères à l’Allemagne, il faut compter après la liberté de conscience les immunités et les franchises universitaires. Les universités allemandes sont des arènes ouvertes à toutes les opinions, à toutes les doctrines, appelées à s’y rencontrer et à s’y combattre comme en champ-clos. Nos voisins ont compris depuis longtemps que la discussion libre et publique est nécessaire au progrès de l’esprit humain dans toutes les branches de la science, et qu’une université est un endroit où il doit être permis de tout discuter. Cette liberté d’universelle discussion a été garantie par l’excellente institution des privatdocenten, que la France paraissait désireuse de s’approprier ; mais elle a aujourd’hui d’autres soucis en tête, de bien autres affaires sur les bras. Le privatdocent est un docteur à qui l’université accorde la venia docendi, c’est-à-dire le droit d’entrer chez elle pour y donner des leçons dans une salle qui lui appartient, en le laissant entièrement maître d’en régler comme il l’entend la matière et la méthode. C’est le plus souvent par le canal du privatdocent que les idées du jour, les théories nouvelles, encore contestées, réussissent à pénétrer dans l’enceinte vénérable consacrée par l’état à l’enseignement supérieur. L’alma mater autorise ces francs-tireurs de la science à faire campagne à côté de l’armée régulière ; ils se battent à leurs risques et périls, et ne sont payés que par leurs soldats. Le privatdocent a chance de devenir un jour professeur extraordinaire ou ordinaire ; en attendant, il ne reçoit d’autres appointemens que les droits d’entrée acquittés par ses auditeurs. Pour peu qu’il ait du mérite, du savoir, et qu’il y joigne quelque talent de parole, son auditoire grossit d’année en année, et il ne tient qu’à ce surnuméraire de faire le vide autour de la chaire des professeurs en titre, s’il en est parmi eux qui aient dû leur nomination à la faveur ou qui négligent de rajeunir à propos leurs idées et leurs cahiers. Le 31 mai 1865, le professeur Virchow déclarait dans une séance de la chambre des députés de Prusse que les privatdocenten sont les vrais représentans de la liberté scientifique, et qu’elle serait en péril le jour où l’on toucherait à leurs franchises.

A la vérité, ces représentans de la science indépendante dépendent en principe du bon plaisir de la faculté dans laquelle ils enseignent. En vertu de l’article 52 de ses statuts, la faculté de philosophie de Berlin a le droit d’adresser par l’entremise de son doyen un avertissement ou une remontrance au privatdocent qui se rend coupable d’une inconvenance vénielle, bei leichteren Anstössigkeiten, et, en cas de récidive ou