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reproche à moi-même d’écrire tant de paroles sur cette matière, après tant d’actions qui doivent rendre ce discours fort superflu. Je ne suis ni de condition ni d’humeur à me justifier, lorsque je ne suis point accusé dans les formes, et mon caractère m’apprend à mépriser toutes les lâches impostures qui seraient capables de le déshonorer en ma personne, si elles étaient capables de m’obliger seulement d’y faire la moindre réflexion. Il n’y a rien qui doive être si cher à un prélat et qu’il soit obligé de conserver avec plus de respect que l’obéissance qu’il doit au saint-siège. Mais, par cette même raison, il n’y a rien de si injurieux que de le soupçonner de manquer au devoir, sur des calomnies qui n’ont pas seulement des apparences pour fondement. J’ai sucé avec le lait la vénération que l’on doit avoir pour le chef de l’église. Mes oncle et grand oncle[1] y ont été encore moins attachés par leur pourpre que par leurs services tous positifs et tous particuliers. J’ai marché sur leurs pas ; j’en ai fait profession ouverte, et je puis dire, sans vanité, que dans la plus docte école du monde[2] j’ai fait éclater à vingt-trois ans si clairement mes pensées sur ce sujet, que je ne conçois pas qu’il y ait encore des esprits capables de ces sortes d’ombrages, si mal fondés et si peu apparens. C’est dans cette source où j’ai puisé ce respect pour le saint-siège, que j’ai protesté à mon sacre et dans lequel je veux vivre et mourir. Je ne l’ai jamais, grâces à Dieu, blessé par un mouvement du plus intérieur de mon cœur, et il ne serait pas juste que, par une complaisance basse et servile, je fisse voir une cicatrice où il n’y eut jamais de plaie, et que je reconnusse moi-même avec honte que l’on a eu raison de soupçonner, en reconnaissant pour raisonnable la proposition que l’on me fait de me justifier. Je l’ai consulté en moi-même ; je l’ai discuté avec des personnes remplies de doctrine et de piété ; je l’ai pesé au poids du sanctuaire, et je proteste devant Dieu qu’après un examen profond et sérieux, exempt de toute sorte de préjugés, je trouve que je manquerais à toutes les règles du christianisme, si je ne suivais dans ce rencontre les premiers mouvemens de mon âme, qui, à l’ouverture de cette proposition, s’est sentie troublée par ces nobles impatiences que les Pères ont appelé de saintes indignations. Elles ont quelquefois porté les grands hommes à défendre leur honneur et devant les monarques et devant les empereurs avec une hardiesse digne de leur profession, et qui passait même, aux yeux du monde, pour un mouvement de fierté et d’orgueil. Mes défauts et les imperfections de ma personne me défendent assez de ces inconvéniens, mais,

  1. Pierre, cardinal de Gondi, et Henri de Gondi, cardinal de Retz, tous deux évêques de Paris.
  2. Le collège de la Sapience à Rome, ou la Sorbonne, qui rivalisaient pour le haut enseignement de la théologie. Paul de Gondi avait fait ses études dans ces deux écoles.