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déclaration vient de ma politique, et aux autres, qui n’ont pas de part aux affaires, faites leur connaître que les raisons qui sont dans ma lettre (la lettre suivante) sont les véritables causes de ma résolution… »

La lettre que nous venons de citer était accompagnée d’une autre lettre d’une habileté extraordinaire et que l’on pouvait interpréter à volonté pour ou contre le jansénisme, tant le coadjuteur avait pris de précautions oratoires pour esquiver une réponse nette et précise. Il se défendait de donner une déclaration contre le jansénisme, en prenant le ton d’un chrétien froissé dans sa dignité et blessé dans son honneur et sa foi d’un soupçon si peu mérité, d’une demande si injurieuse. En même temps, pour se faire bien venir de ses amis les jansénistes, il donnait à entendre que, s’il avait au fond embrassé la doctrine du jansénisme, il devrait plutôt souffrir le martyre que de renier les convictions de sa conscience. Puis, après les plus vives et les plus éloquentes protestations de son dévoûment au saint-siège, il insinuait à mots couverts que Rome aurait peut-être à se repentir de ne pas lui avoir donné le chapeau, Retz considérait cette lettre comme le chef-d’œuvre de sa plume, il en rechercha vainement la minute pour la publier dans ses Mémoires. Il y exprime en même temps le plus profond repentir de l’avoir écrite, « Je ne puis m’empocher en cet endroit, dit-il, de rendre hommage à la vérité, et de faire justice à mon imprudence qui faillit à me faire perdre le chapeau. Je m’imaginai, et très mal à propos, qu’il n’était pas de la dignité du poste où j’étais de l’attendre, et que ce petit délai de trois ou quatre mois que Rome fut obligée de prendre pour régler une promotion de seize sujets[1] n’était pas conforme aux paroles qu’elle m’avait données, ni aux recherches qu’elle m’avait faites. Je me fâchai et j’écrivis une lettre ostensive à l’abbé Charrier, sur un ton qui n’était assurément ni du bon sens ni de la bienséance. C’est la pièce la plus passable pour le style de toutes celles que j’aie jamais faites. Je l’ai recherchée pour l’insérer ici, et je ne l’ai pu retrouver, La sagesse de l’abbé Charrier, qui la supprima à Rome, fit qu’elle me donna de l’honneur par l’événement, parce que tout ce qui est haut et audacieux est toujours justifié, et même consacré par le succès. Il ne m’empêcha pas d’en avoir une véritable honte ; je la conserve encore, et il me semble que je répare en quelque façon ma fauté en la publiant. »

Plus heureux que Retz, nous avons découvert une ancienne copie de cette lettre dans un volumineux recueil de pièces imprimées et manuscrites, relatives au cardinal, qu’a bien voulu nous réserver le savant bibliophile M. L. Potier, Retz avait défendu à l’abbé de

  1. La promotion dans laquelle Retz figurait ne comprenait que dix cardinaux.