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achetée… Mais pendant qu’il voulait acquérir ce qu’il devait un jour mépriser, il remua tout par de secrets et puissans ressorts[1]. » Ces ressorts, nous les mettons complètement à nu pour la première fois en publiant les lettres les plus saillantes de Retz. Ce n’est pas seulement au point de vue de l’histoire qu’une telle révélation est pleine d’intérêt ; elle ne l’est pas moins au point de vue littéraire. Il serait impossible de trouver à cette date un prosateur tel que Retz se révèle dans ces lettres, écrites cinq ans avant les Provinciales. C’est là une circonstance à noter, et qui le placera infailliblement parmi les initiateurs et les précurseurs de notre grande prose. Tout ce qui caractérise un écrivain de premier ordre se trouve dans ces lettres : l’originalité, l’esprit, l’élégance, le choix des expressions, la clarté, la vie, le souffle, l’éloquence. Nous attirons surtout l’attention du lecteur sur les deux lettres qui vont suivre. Dans la première, d’une non moins grande hauteur que la précédente, mais d’un ton plus radouci, le coadjuteur donnait à l’abbé, de la part du duc d’Orléans, l’ordre de rentrer en France. En même temps, il lui recommandait de déclarer à monsignor Chigi qu’une des raisons qui l’obligeaient de le rappeler, c’était la déclaration qu’on lui demandait contre le jansénisme, qui l’avait encore plus blessé dans la forme qu’au fond.

« Je vous envoie une lettre de M. le duc d’Orléans, écrivait-il à l’abbé, le 16 février, par laquelle il vous commande de revenir en France aussitôt que vous l’aurez reçue. J’ai cru qu’il était à propos de vous faire donner cet ordre parce que je vous avoue que je ne puis plus souffrir la qualité de prétendant qui me fait tort en ce pays, et qui, je crois, ne m’est pas fort utile à Rome. Je ne crois pas que ma nomination soit révoquée, et je ne crois pas que la cour l’ose faire, mais avec tout cela je vois si peu de certitude dans les résolutions de la cour de Rome, que je ne crois pas qu’il soit à propos que vous y demeuriez plus longtemps. Votre retour fera à mon sens un grand éclat qui m’est bon pour Paris et qui n’est pas dangereux pour la cour de Rome, puisque je m’imagine que, si le pape faisait une promotion après votre départ, ma nomination n’étant pas révoquée, il ne laisserait pas de me faire cardinal. Je vous prie donc de faire vos adieux quand vous aurez reçu cette dépêche, à moins que vous voyiez certitude ou grande apparence de promotion dans le carême, devant lequel temps aussi bien vous auriez, à mon sens, peine à sortir de Rome, quand même vous seriez assuré qu’il n’y aurait pas de promotion. J’ai fait faire là lettre de M. le duc d’Orléans un peu sèche, et il écrit comme étant mal satisfait du peu d’égards que l’on a eu à ses prières. Vous parlerez, s’il vous

  1. Oraison funèbre de Michel Le Tellier.