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quatre-temps, il n’y a plus rien à espérer et faut songer à prendre d’autres mesures. »

Au fond, le coadjuteur ne croyait pas que ces soupçons de jansénisme articulés contre lui fussent bien sérieux ; il supposait qu’on ne les avait lancés en avant que pour retarder la promotion, il exprimait ainsi à l’abbé Charrier son opinion sur ce point : « Mon sens est que, sur cet article du jansénisme, ces messieurs n’en sont guère embarrassés dans le fond, mais que, se voyant si vivement pressés et n’ayant pas de bonne raison à vous opposer, ils ont voulu se donner encore ce prétexte pour gagner du temps. C’est pourquoi, quand j’aurais voulu faire cette déclaration et que j’eusse pu vous l’envoyer assez tôt, ce n’aurait pas été encore besogne faite. Quoi qu’il en arrive, consolez-vous aussi bien que moi, car je vous assure que vous serez vengé de toutes vos peines, Je n’ai pas eu le temps, depuis votre dépêche, de prendre des lettres de son altesse, et puis aussi bien elles seraient inutiles. J’ai seulement envoyé Fromont[1] à M. le nonce, qui lui doit chanter sa gamme. Je le verrai aussi demain sur tout ce que vous m’avez dit[2]. L’on vous envoie les bagues que vous avez demandées pour M. Chigi[3]… »

Cette lettre pleine de hauteur, de souplesse et d’éloquence nous montre Retz à la fois dans les plus secrets replis de son âme et dans tout son éclat d’écrivain. Si on lui refuse le chapeau, il se mettra à la tête des jansénistes et propagera un schisme qui gagnera comme une flamme la cour de Rome. À la pensée que la pourpre va lui échapper au moment même où il s’est cru sur le point de la saisir, il n’a plus la force de maîtriser sa colère ; il éclate avec la dernière imprudence dans son entourage. Ses moindres paroles sont avidement recueillies par les espions de Mazarin et aussitôt divulguées. « Ce fut alors, dit un pamphlétaire aux gages de la cour, qu’en présence de plusieurs personnes, qui en frissonnèrent d’horreur, il prononça ces paroles détestables : « Si je ne puis fléchir les dieux d’en haut, je me résous d’employer à mon secours les divinités de l’enfer :

Flectere si nequeo superos, Acheronta movebo. »

N’est-ce pas là, dans sa grandeur effrayante et satanique, le Retz peint si vigoureusement par Bossuet, et, en présence de cette lettre et de celles qui vont suivre, sera-t-il permis de dire que le portrait est exagéré ? « Cet homme,… dit Bossuet, si redoutable à l’état,… ce ferme génie que nous avons vu, en ébranlant l’univers, s’attirer une dignité qu’à la fin il voulut quitter comme trop chèrement

  1. Le secrétaire des commandemens du duc d’Orléans.
  2. C’est-à-dire sur la question du jansénisme.
  3. Paris, le 9 février 1652.