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restes de mammifères terrestres d’âge secondaire y sont très rares. Le commencement des temps tertiaires a été marqué par un vaste exhaussement. La France n’a plus été cachée sous les flots de l’Océan, elle a pu recevoir les êtres terrestres et leur offrir une large hospitalité ; mais elle a été éprouvée plus d’une fois par les révolutions ; à diverses reprises, son sol s’est abaissé, laissant la mer reprendre une portion de son ancien domaine. Ces révolutions ont nécessairement interrompu le développement des animaux terrestres ; ils ont fui ou ont péri. Les herbivores ont apparu dans nos contrées à une époque relativement récente, peut-être parce que le règne des graminées est d’une date peu ancienne. De nos jours encore, il y a des pays où les graminées réussissent difficilement. Toutes les personnes qui ont voyagé en Orient ont été frappées de la rareté des herbages. Dans l’île de Chypre, qui est très sèche, presque toutes les plantes deviennent si coriaces et si piquantes qu’elles rendent la marche pénible ; j’ai remarqué que les chiens y prennent souvent l’habitude de marcher en sautant pour éviter d’être piqués par les plantes, et les chiens à hautes pattes, comme les lévriers, sont ceux qui se propagent davantage. Il est possible que, pendant une partie des temps éocènes, quelques régions aient présenté le même aspect que les campagnes de l’Ile de Chypre. Mais la rareté des herbages n’a pas été la seule cause qui a retardé l’arrivée des herbivores ; ces animaux ont dû être gênés dans leurs courses par les bras de mer qui ont coupé notre pays ; au milieu des temps miocènes, il y avait encore des avances de l’Océan dans la vallée de la Loire et de la Gironde ; la mer occupait le territoire qu’arrose aujourd’hui le Rhône, traversait la Suisse, séparant les Alpes du Jura et constituant dans le centre de l’Europe une barrière entre les animaux du nord et ceux du sud. A l’époque du miocène supérieur, un exhaussement général du sol, qui a coïncidé sans doute avec le soulèvement principal des Alpes, a fait écouler une partie des eaux de la mer, et, depuis ce moment, elles n’ont plus pénétré dans le milieu du continent européen ; il est permis de supposer que les vastes domaines laissés aux animaux terrestres ont favorisé le développement des grands troupeaux dont les dépôts d’Eppelsheim, de Pikermi, du Léberon, ont révélé l’existence ; alors a apparu une faune d’une richesse incomparable. Mais sans doute l’exhaussement du sol s’est continué, et de là a pu résulter, vers le milieu de l’époque pliocène, un abaissement de température qui a amené l’extension des glaciers et a fait disparaître un grand nombre de quadrupèdes ; ainsi tour à tour les phénomènes d’exhaussement auraient facilité l’extension et la diminution des mammifères.