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le second celui de M. Bonjean, le dernier celui de Walhert (Félix-Joseph), officier de paix ; Jecker est le septième, l’abbé Deguerry le neuvième. Il y avait sur la liste trente-huit prêtres, deux commissaires de police, un proviseur de collège et différens prisonniers qualifiés agens secrets. Tous furent avertis ; on les isola dans les cellules d’attente où l’on enferme ordinairement les détenus avant qu’ils aient subi les formalités de l’écrou. On avait envoyé réquisitionner des voitures au chemin de fer de Lyon, on ne put se procurer que deux chariots de factage. Dans ces sortes de tapissières fort incommodes placées sous la garde de fédérés armés, on réussit à empiler quarante prisonniers ; le dernier qui y prit place fut Joseph Ruault, sur le mandat d’arrestation duquel Dacosta avait écrit : « Conservez, cette canaille pour le peloton d’exécution. » Le malheureux pour lequel on faisait cette atroce recommandation était un simple tailleur de pierre. À neuf heures du soir, les deux charretées, comme l’on disait déjà au temps de la terreur, s’éloignèrent et prirent le chemin de la Grande-Roquette. Le lendemain 23 mai, les quatorze otages qui n’avaient pas pu faire partie du premier convoi furent enlevés à leur tour.

« Ce n’est qu’un commencement, avait dit Garreau, et si les Versaillais approchent, nous mettrons le feu à la maison ; j’ai l’ordre ! » En effet, Eudes lui avait expédié, par planton, l’ordre d’incendier Mazas. Garreau crut pouvoir s’en rapporter, pour ce nouveau crime, à Bonnard, le surveillant dont il avait fait un greffier ; celui-ci reçut des instructions précises, et ne s’y conforma pas. Dès le 24 mai, la prison manqua de vivres ; des barricades l’entouraient de toutes parts ; la fusillade crépitait dans les environs ; quelques obus égarés avaient éclaté contre les murs. Tous les couloirs étaient silencieux, les cœurs se sentaient oppressés, on ne parlait qu’à voix basse, on écoutait les rumeurs du dehors. Dans la journée du 23, dans celle du 24, on avait attendu les mandats de transfèrement du procureur de la commune, on croyait, sur la parole de Garreau, à de nouveaux transbordemens d’otages ; rien ne vint troubler l’angoisse recueillie des détenus ; ils tournaient dans leur étroite cellule, avec la régularité monotone des animaux enfermés. La nuit du 24 au 25 fut sinistre : on avait appris par les gardiens que Paris brûlait ; plusieurs projectiles effondrèrent la toiture.

Le jeudi 25, dans la matinée, on reconnut l’impossibilité de nourrir les prisonniers ; on ouvrit les cellules : « Prenez bien vite tout ce qui vous appartient et sauvez-vous ! » La plupart croyaient que la maison allait sauter et prirent la fuite ; une centaine environ sortirent sur le boulevard Mazas et tourbillonnèrent sans savoir vers quel point se diriger ; une forte barricade établie avenue Daumesnil était défendue par des fédérés qui rassemblèrent la plupart des