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peine d’être acheté au prix de vexations qui portèrent, sans profit pour la république, l’inquisition dans la toilette. Se figure-t-on de graves magistrats solennellement réunis pour délibérer sur la forme des habits et sur le métal dont les boutons seraient faits !

Nous ne croyons pas enfin que l’on puisse confondre le luxe aristocratique avec le luxe nobiliaire.

Le luxe nobiliaire, j’entends surtout celui de la noblesse de cour, a eu, dans les races méridionales du moins, une distinction sous certains rapports que nous ne prétendons pas contester. Il en fut souvent de ce luxe comme de ces manières élégantes qui semblent avoir été transmises plutôt qu’enseignées et que décèle une aisance de bon goût. Pourtant il nous est difficile de ne pas juger sévèrement le luxe nobiliaire : peut-être la masse des nobles n’en eut-elle le plus souvent que les côtés acceptables ; mais les excès furent choquans chez les grands seigneurs qui personnifient ce luxe aux yeux de l’histoire. Il y a dans le luxe de la noblesse de cour quelque chose d’éphémère qui tient de la vanité plus que de l’orgueil : il aime les jouissances rapides et l’éclat qui éblouit, les fêtes, les parures, les modes changeantes, le jeu, qui nourrit le luxe, à moins qu’il ne le ruine. Il est prodigue, endetté. Il affecte l’imprévoyance. Il a je ne sais quel air de bravade. Essaierai-je d’en donner l’idée suffisamment présente par des exemples choisis entre beaucoup d’autres ? Écoutons une femme de ce grand monde de cour, toujours si avide des nouveautés élégantes et coûteuses. Avec quelle nonchalance, quelle insouciance dédaigneuse elle laisse tomber ces mots : « Je possédais quelques méchantes terres qui ne rapportaient que du blé ; je les ai vendues pour acheter ce miroir. » Et elle montrait une de ces riches glaces de Venise qui coûtaient alors des sommes exorbitantes. Une autre fois, c’est un grand seigneur qui jette par la fenêtre une bourse que lui rapportait pleine son petit-fils, à qui il l’avait donnée, et qui n’avait pas eu l’esprit de la dépenser. Citerai-je un autre trait de cette noblesse frivole et vaine, qui peint mieux encore cet excès impertinent d’une prodigalité devenue une sorte de défi et de point d’honneur ? Celui-là, piqué qu’une dame lui eût renvoyé le diamant qui servait à recouvrir une miniature qu’il lui adressait, fait broyer la pierre précieuse, puis il en saupoudre le billet qu’il écrit eu réponse de ce renvoi. Chaque pincée de cette poudre coûterait environ 5,000 livres. Voilà un luxe bien fou, mais il sent le gentilhomme.


III. — LE LUXE ET LA DEMOCRATIE.

C’est un préjugé qui ne se soutient plus guère devant l’histoire que la démocratie repousse le luxe. L’histoire ancienne le contredit.