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d’harmonie, qu’il présente à l’esprit, l’idée d’une haineuse envie ne s’offre pas à la pensée.

Les aristocraties foncières n’ont pas même besoin de cette antiquité vénérable pour donner au luxe solide qu’elles montrent dans leurs riches habitations rurales cette apparence qui attire plus de respect que de malveillante jalousie. Le pays auquel on vient de faire allusion en offre la preuve vivante. Le mot de race est loin de s’appliquer toujours en Angleterre à ces familles qui portent de grands titres et possèdent de grands domaines ; elles ne représentent souvent que la fortune et le talent venant prendre place dans les rangs d’une aristocratie ouverte. Ces parvenus de la richesse nouvellement anoblis n’ont pas les défauts qu’on reproche généralement aux fortunes récentes et à la noblesse de fraîche date. Il semble que la terre communique à leur luxe même quelque chose de sérieux. Ils datent d’hier, et déjà ils semblent anciens.

Veut-on une preuve non moins frappante que cet effet produit sur le luxe est bien en réalité le résultat de l’aristocratie foncière ? Comparez, en Angleterre même, le luxe des plus opulens marchands avec celui de cette aristocratie de naissance ou de formation qui a jeté ses racines profondes et vivaces dans le sol britannique. Leur luxe n’a pas cette grandeur, et, si l’on ose dire, cette aisance. Il voudrait éblouir, et il se perd dans les mesquines recherches du confortable. Il prodigue les preuves extérieures de la richesse et les ornemens, mais l’art véritable ne lui manque pas moins que la nature, et ce faste uniforme, qui ne trouve guère d’admirateurs parmi les gens de goût, est tout fait en revanche pour enfanter une multitude d’envieux.

Les aristocraties commerçantes offrent d’autres traits que les aristocraties territoriales. Elles aiment plus particulièrement les raffinemens sensuels. Tout les y porte, leur habitation dans les villes, et leur goût pour toutes les formes que peut prendre la richesse mobilière. Le commerce maritime met à leur disposition les primeurs du luxe des nations étrangères. Avec cela, elles sont plus économes que les aristocraties territoriales. Les habitudes du négoce y corrigent les goûts de prodigalité ; elles ne sont pas exposées a ces gaspillages inhérens à la possession des grands domaines. Elles peuvent dépenser beaucoup, elles savent toujours ce qu’elles dépensent, ce qui est une limite aux profusions. Ces aristocraties peuvent encourir quant au luxe plus d’un reproche mérité d’égoïsme et d’abus. Comment leur refuser deux titres qui plaident en leur faveur ? En premier lieu, elles ont dû leur splendeur au travail. Il n’est pas dans la nature du commerce de se reposer : il ressemble à ces conquérans toujours condamnés à gagner ou à perdre. S’il cesse de s’enrichir, il se ruine, et l’immobilité ne tarderait pas