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justifier un peu ces repas, qui semblent ceux de gens affamés, qu’en ajoutant que la table fut un lien, rapprocha les distances. Les serfs en aimèrent mieux ou en détestèrent moins leurs seigneurs. Si l’intempérance de ces fabuleux festins doit être blâmée, on doit reconnaître aussi qu’elle était exceptionnelle, en contraste complet avec l’austérité de la vie quotidienne et avec ses privations si fréquentes. Je me borne à nommer les autres attributs du luxe féodal, les grandes chasses, les chevaux de race, l’éclat des costumes, la richesse des armes, les pompes de l’appareil militaire. Avec quel éclat elles se déploient dans les guerres, dans les tournois, aux entrées solennelles, où figurent de longues troupes de brillans cavaliers qui lentement défilent ou passent avec une rapidité inouïe, sur leurs chevaux magnifiquement caparaçonnés, comme dans un rêve de l’Orient !

Même dépouillée des caractères qui constituaient la féodalité, l’aristocratie territoriale a retenu quelques-uns de ces traits, adoucis par la civilisation, et plus d’une fois épurés de la rouille grossière des anciens temps. Plus solide, en général plus varié, moins excessif, quoique abusant encore d’une surabondante domesticité, tel est le luxe de ces aristocraties. Il unit dans une plus forte proportion l’utile à ces arts brillans qu’au moment le plus avancé de son développement la féodalité n’avait pas dédaigné d’introduire dans ses demeures. Cette nouvelle aristocratie foncière, fille des âges plus sérieux, renonce à une partie des goûts fastueux qu’elle devait à la chevalerie. Aux solennités guerrières d’autrefois, elle aime souvent à faire succéder les fêtes du travail et de l’agriculture. Est-il besoin de caractériser en termes abstraits ce genre de luxe aristocratique, quand le modèle est là vivant sous nos yeux, et faut-il prononcer le nom du pays où il se développe pour que chacun le reconnaisse ? On l’a bien des fois décrit, ce pays prospère, où la liberté même rend les terres fertiles. En vain chaque partie de ce sol est-elle mise à haut prix par la plus riche culture qui soit au monde, on trouve là encore des milliers de parcs étendus. L’aristocratie ne renonce pas si aisément aux vastes promenades, ni à ces immenses espaces que réclame l’habitude féodale de la chasse, qui ne s’est pas perdue. Mais, dans ces beaux parcs, les troupeaux paissent en compagnie des daims et des cerfs, et le gibier qu’on poursuit ne fait pas tort à celui qu’on nourrit pour en tirer un revenu. De vastes pelouses réjouissent l’œil, de majestueux arbres séculaires impriment l’idée de la durée des grandes races aristocratiques, qui laissent mourir les chênes de vieillesse, et conservent tout sans rien détruire. Oui, mais ces beautés du paysage n’empêchent pas tout à côté d’utiles expériences de culture forestière. Un tel luxe impose, il ne choque pas, et devant les images de sécurité, d’antiquité,