Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/144

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inférieure, peut être très monarchiquement gouvernée. Enfin ayons présentes les différences de l’état antique et de l’état moderne, mises singulièrement en oubli par des écrivains qui ont par là contribué à répandre bien des idées fausses dont la société ressent encore les fâcheux effets.


I. — LE LUXE ET LA MONARCHIE.

Le nom de Montesquieu reviendra plus d’une fois dans cette étude, et il n’y a pas lieu de le regretter ; il est de ceux qui illustrent une discussion et qui ont le plus de chance de la féconder en excitant la pensée, même lorsqu’ils provoquent les objections. L’auteur de l’Esprit des lois traite à plusieurs reprises la question des rapports du luxe avec les institutions politiques. C’est une des parties de son livre les plus sujettes à contestation : on y rencontre des énigmes, des idées qui surprennent par un air de paradoxe, de vraies erreurs, dont son temps a bien aussi sa part de responsabilité. Son tort ou son mérite est d’y avoir mis son empreinte, qui donne à tout un relief saisissant. Disciple de l’antiquité, il ne discerne pas toujours les conditions de la vie moderne. Pour lui, la propriété est une pure convention née de la loi et, du moins au début, une sorte d’usurpation. La richesse des uns est prise sur la part des autres. Cette idée était celle de la plupart des jurisconsultes comme des théologiens. Écoutez Bourdaloue, dans son sermon sur l’Aumône. « Selon la loi de la nature, dit-il, tous les biens devaient être communs : comme tous les hommes sont également hommes, l’un, par lui-même et de son fonds, n’a pas des droits mieux établis que ceux de l’autre ni plus étendus ; ainsi il paraissait naturel que Dieu… leur abandonnât les biens de la terre pour en recueillir les fruits, chacun selon ses nécessités présentes. » — « Quand le riche fait l’aumône, reprend Bourdaloue, conséquent avec l’idée qu’il vient d’énoncer, qu’il ne se flatte pas en cela de libéralité ; car cette aumône, c’est une sorte de dette dont il s’acquitte, c’est la légitime du pauvre, qu’il ne peut refuser sans injustice. » Tel est, avec une conformité de vues qui frappera tous les esprits attentifs, le fonds d’idées qu’a développées Montesquieu pour en tirer toute sa théorie des rapports du luxe avec les formes du gouvernement. « Pour que les richesses restent également partagées, écrit-il, il faut que la loi ne donne à chacun que le nécessaire physique. Si l’on a au-delà, les uns dépenseront, les autres acquerront, et l’inégalité s’établira. Supposant le nécessaire physique égal à une somme donnée, le luxe de ceux qui n’auront que le nécessaire sera égal à zéro ; celui qui aura le double aura un luxe égal à un ; celui qui aura le double du bien de ce dernier aura un luxe égal à trois ; quand on aura encore