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halage, un gril de carénage, un bassin de radoub, et, en pleine rivière, pour l’ancrage des plus gros navires, une fosse de 20 hectares où la profondeur d’eau est de 6 mètres ; mais tout cela ne suffit pas. Malheureusement le Bordelais, comme le Marseillais, aime à s’endormir dans la quiétude, ne se préoccupe pas assez de ce que font ses concurrens étrangers. Il voyage peu, moins encore que le Marseillais, qui a gardé quelque chose de la mobilité des Phocéens ses ancêtres ; il ignore presque tout ce qui se fait hors de chez lui, il est rivé au pays natal. Ses portefaix, ses coureurs de quais pour le chargement et le déchargement des navires, lui paraissent le comble du progrès. Il admire le long de ses quais ses grues, ses machines à mater, et il ne sait pas qu’il y a mieux. Certains de nos négocians ne veulent point qu’on leur parle de la concurrence qui toujours davantage nous menace du côté de l’étranger. Nos ports faiblissent, c’est possible, mais il ne faut pas le dire trop haut. Braves gens, vous nous rappelez l’autruche qui cache, d’après la légende, sa tête sous ses ailes à l’approche du péril, et qui croit y échapper pour ne pas le voir. Le péril, il faut le regarder en face, l’affronter, le conjurer.

Le Bordelais ne se doute pas peut-être qu’à Liverpool, à New-York, à Chicago, on peut charger et décharger un navire en vingt-quatre heures par des moyens mécaniques puissans et ingénieux. Il ignore sans doute qu’à Amsterdam un canal direct vient d’être établi pour communiquer par le plus court chemin avec la mer du Nord, qu’à Anvers on a créé, on crée tous les jours des bassins à flot intérieurs au moyen de l’Escaut, des bassins où entrent et circulent les navires du plus fort tonnage. A Bordeaux, on s’est enfin décidé à établir à Bacalan un de ces bassins. Le projet en a été fait sur le papier, préparé même sur le terrain, déclaré d’utilité publique dès 1867. Ce bassin à flot aura dix hectares de superficie et une profondeur d’eau de 7 à 9 mètres suivant la marée. L’entrée sera composée de deux écluses, l’une pour les grands paquebots à roues, l’autre pour les vapeurs à hélice et les navires à voiles ; elles seront précédées d’un avant-bassin. Les quais présenteront un développement linéaire de 1,800 mètres et ils pourront être accostés par 76 navires du plus fort tonnage. Les paquebots de la Compagnie des messageries, ceux de la Compagnie transatlantique, les plus grands clippers, mouilleront là. Autour du bassin s’élèveront les docks, les entrepôts. Sur un des côtés on construira aussi une forme de radoub pour la réparation des plus gros navires. La chambre de commerce de Bordeaux a fait les avances des frais de tous ces grands travaux, estimés à 14 millions et demi. Elle a eu recours pour cela à un emprunt spécial avec garantie, comme Marseille l’a fait maintes fois dans des circonstances analogues. Il ne faut pas toujours