Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 23.djvu/135

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et l’un d’eux, Ausone, les a chantées à l’égal du vin de sa chère Burdigala :

Non laudata minus nostri quam gloria vini.


Ce n’est pas tout. Les bateaux-pêcheurs, franchissant la passe de l’étang, vont au large et rentrent chargés de poisson. La maison Johnston de Bordeaux a fait même construire en Angleterre quatre navires à vapeur pour la grande pêche, et elle expédie chaque jour ses récoltes sous-marines sur toute la France. Les pêcheurs, ancrés sur l’étang, débarquent le poisson dans des corbeilles que des rameurs apportent à la plage. Des femmes le séparent : ici les raies, les anguilles, les soles, les pageaux ou les merlans ; plus loin les maquereaux, les turbots, les barbues, les rougets ou les sardines. On met tout cela à part dans des paniers que l’on pèse et qui portent sur une carte le nom d’une marchande de Toulouse, de Nîmes, de Tours, de Paris et même de Marseille. Les wagons du chemin de fer, qui s’avancent jusqu’au port de débarquement, emportent tous ces colis rapidement aux plus lointaines distances. N’est-ce pas là la meilleure manière de tirer profit de l’étang d’Arcachon, et n’est-il pas ainsi devenu, comme nous le disions tout à l’heure, une véritable fabrique d’alimens de mer ? Pour les huîtres seulement, on calcule que tous les parcs réunis peuvent produire 100 millions de ces mollusques ayant une valeur de 3,500,000 francs, ce qui met à 3 fr. 50 cent, le cent d’huîtres pris sur place.

Le pays d’Arcachon n’est pas seulement fertile par ses pêcheries, ses parcs d’huîtres ; il est parsemé de bois de plus qui ont d’abord servi à fixer les dunes et à arrêter leur marche envahissante, ainsi que le démontra victorieusement au siècle dernier l’ingénieur Brémontier, dont le nom est répété ici comme celui d’un bienfaiteur. Ces bois de pin maritime sont ceux dont les émanations résineuses soulagent si aisément les malades qu’on envoie l’hiver à Arcachon ; mais comme ils n’avaient pas été précisément plantés pour eux, l’industrie s’est aussi emparée de ces bois. Par des incisions habilement faites, on amène la sève au dehors ; on recueille, dans de petits pots attachés à l’arbre, la résine qui suinte de la blessure, puis on distille cette résine pour en obtenir l’essence de térébenthine et le goudron d’une part, la colophane, le noir de fumée de l’autre. Lors de la guerre de sécession américaine, quand l’essence de térébenthine n’arrivait plus des États-Unis, tous les résiniers d’Arcachon ont fait fortune. Rien, du reste, ne se perd. Le bois de pin lui-même, quand il est épuisé par les saignées, est abattu. On en fait des traverses très estimées pour les chemins de fer, des poteaux télégraphiques, des échalas pour les vignes, des planches, et avec les brindilles, les branchages, des fascines pour les fours de