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d’occuper. Ce n’est d’ailleurs qu’à partir de Louis XIV que le bourgogne commença d’être apprécié, et l’on sait que le Champagne, si recherché aujourd’hui, est redevable de l’origine de sa fortune à l’invasion des alliés en 1815. Les uns font remonter au duc de Richelieu, le vainqueur de Mahon, les autres aux favorites de Louis XV, surtout la Pompadour, le mérite d’avoir mis le médoc à la mode. C’était un vin aimable, le mieux adapté de tous pour leurs petits soupers. De là il passe à la table des seigneurs de la cour, ces singes du maître, et à celle des riches financiers, ces imitateurs des grands ; enfin tous les gourmets, les médecins eux-mêmes se mettent de la partie, et le médoc conquiert la place qu’il mérite. Que de temps il a fallu pour cela ! Aujourd’hui encore, les meilleurs crus ne se consomment pas en France, à part quelques exceptions, mais en Angleterre, en Belgique, en Hollande, aux États-Unis, où on les paie souvent au-delà de ce qu’ils valent. Une récolte est achetée en bloc, quelquefois sur pied, à tant le tonneau, il ne reste pas une bouteille pour nous. Il est même certains crus, dont le nom est ignoré en France, qui jouissent à l’étranger d’un renom justifié ; tel est aux États-Unis le château-pape-clément, petit cousin du haut-brion ; tel est encore le château-dillon, un bon bourgeois des premières marques, et d’autres encore.

Celui qui parcourt le Médoc se demande à quelles propriétés mystérieuses ce petit coin de la Gironde doit de produire de pareils vins. Sans doute le choix des cépages, pour lesquels on est très sévère, le mode de plantation et de culture adopté, les soins assidus que l’on donne à la vigne, entrent pour beaucoup dans la qualité du vin obtenu. Nous sommes dans le pays où l’hygiène de la vigne, où la viticulture et la vinification ont été le plus scrupuleusement étudiées, sont le mieux connues. Il faut tenir aussi grand compte de la nature minéralogique et géologique du sol et du sous-sol, caillouteux, siliceux, sablonneux, légèrement ferrugineux et calcaire, point argileux, de ce terrain de pierre à fusil qu’affectionne particulièrement la vigne[1]. Il faut faire aussi la part du climat, très tempéré, un peu humide, sujet au vent marin de l’ouest, à l’abri des gelées. C’est le climat moyen de la France, dont la température annuelle est de 13 degrés, celui que M. Charles Martins a nommé le climat girondin. Le terrain est bien exposé, doucement incliné ; la latitude astronomique est de 44 à 45 degrés, c’est la meilleure pour

  1. Quelques-uns de ces cailloux de silex, formés de cristal de roche, sont transparens, se taillent comme du diamant, ce qui faisait dire à Louis XV de l’un des grands de sa cour, un Ségur, propriétaire en Médoc et qui avait orné son habit de quelques-uns de ces boutons de strass : « Voilà l’homme le plus riche de mon royaume, il récolte du nectar et des diamans. » Cet autre, cité par un ampélographe distingué, M. Odard, avait cru bien faire d’enlever tous les cailloux de son vignoble. La terre se tassant, les pluies ne passaient plus ; il fallut rapporter les cailloux par charretées.