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château-la-lagune, des troisièmes ; le château-beychevelle[1], le talbot, le pouget, le prieuré, des quatrièmes ; le pontet-canet, le dauzac, le cos-labory, le cantemerle, des cinquièmes. Nous les avons cités au hasard, il n’y en a pas moins de 55 en tout, et ils sont respectivement au nombre de 15, 13, 10 et 17, en allant des deuxièmes aux cinquièmes crus. Quant aux prix, l’augmentation va généralement du simple au double, en passant de la seconde à la cinquième classe, la première étant d’ordinaire hors de comparaison avec les autres. Ici encore il faut des millionnaires, nobles rentiers, banquiers ou négocians, pour posséder, pour exploiter de tels vignobles. Les Rothschild y apparaissent de nouveau, puis les marquis de Las-Cases, les baron Sarget, les comte Duchâtel, les Johnstgn, les Errazu, les Guestier, les Piston d’Eau-Bonne, les Cruse, les Halphen, et tant d’autres.

Les cinq classes de crus dont il vient d’être parlé composent ce qu’on nomme officiellement les grands vins, les vins classés ; hors de ceux-là il n’en est pas d’autres. Suivant les années, ces vins se vendent, pris au château, pour les premiers crus, jusqu’à 6,000 fr. le tonneau bordelais de quatre barriques ou 9 hectolitres. Le tonneau se nomme aussi fût ou futaille, et la barrique une pièce. La contenance moyenne de la barrique est de 225 litres et fournit environ 350 bouteilles bordelaises[2].

Le lafite et le margaux ont quelquefois dépassé le chiffre de 6,000 francs le tonneau. Il faut doubler ce chiffre quand le vin arrive à la consommation, à cause du coût de la mise en bouteilles, du déchet, de l’intérêt de l’argent, des frais de tout genre. Entre deux années, les prix varient eux-mêmes quelquefois du simple au double, et il est tel vin de telle récolte qui monte à un taux excessif ; c’est pourquoi les connaisseurs tiennent toujours compte non-seulement de l’âge absolu du vin, mais encore de son âge relatif, de l’année où il a été vendangé. Le vin de 1811 ou celui de la comète, celui de 1815, sont restés célèbres entre tous. Plus près de nous, les années 1868 et 1869 ont été deux années exceptionnellement bonnes ; par contre, 1867 a été une année ordinaire, et 1866 une de ces années inférieures « dont on ne fait pas de bouteilles. » Le vin des grands crus ne se met en bouteilles qu’au bout de trois à quatre ans. C’est un axiome connu que, plus le vin vieillit, même en bouteilles, plus il gagne en qualité, et, naturellement, plus il renchérit. Il y a dix ans, on a payé jusqu’à 120 francs les dernières

  1. Appartint jadis au grand amiral de France, le duc d’Épernon, qui forçait tous les navires entrant en Gironde à baisser leurs voiles pour saluer son château.
  2. Il a été écrit nombre d’ouvrages sur les vins de Bordeaux. Parmi les plus récens, on peut citer : Bordeaux et ses vins, par E. Féret ; les Vins de Bordeaux, par Lorbac et Lallemand ; le Médoc et ses vins, par Malvezin et Féret, etc.