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Au siècle passé, Bordeaux était le premier, le plus riche de nos ports. Il envoyait aux îles, comme on disait alors, c’est-à-dire dans nos colonies des Indes, les vins chers à tout Français, et recevait en échange les produits de ces lointains comptoirs, le sucre, le tafia, les épices, le café. Aujourd’hui la meilleure part du fret de retour des navires qui fréquentent cette place est encore formée par le vin qu’on récolte principalement dans le département de la Gironde, et qui de là se répand dans tout l’univers. En barriques ou en bouteilles, le vin compose un de ces colis à la fois volumineux et d’un arrimage facile que la marine marchande, si éprouvée chez nous à la sortie, a tant de raisons de rechercher. Ce fait révèle un des motifs de la prospérité soutenue de la grande cité girondine, métropole glorieuse d’un des départemens vinicoles les plus fertiles de la France.


I. — LE PORT DE BORDEAUX.

A l’endroit où elle baigne les quais de Bordeaux, la Gironde forme un croissant, comme à la Nouvelle-Orléans le Mississipi ; de là le nom de « port de la Lune » donné anciennement à Bordeaux, et celui de Crescent-City que porte la ville américaine ; de là aussi le croissant que Bordeaux a toujours maintenu dans ses armes. Ce n’est pas le seul point de comparaison que l’on pourrait établir entre les deux cités. Les quais de Bordeaux rappellent les levées du Mississipi ; son port, où se pressent les navires, a quelque ressemblance avec celui que fondèrent les Français, il y a un siècle et demi, à la Nouvelle-Orléans ; mais les quais de Crescent-City, où s’entrepose tout le coton de la Louisiane et de l’Arkansas, où ancre toute une flotte de steamboats de rivière qui remontent jusqu’à Saint-Louis, Cincinnati et Pittsburg (la distance de Marseille à Alexandrie), les quais de Crescent-City sont incomparablement plus animés, plus pittoresques que ceux de Bordeaux, s’ils sont moins grandioses. Le fleuve aussi y est plus large et plus profond. C’est le père des eaux, le Meschacébé des Indiens Chactas, dont un ingénieur de talent, M. Eads, vient enfin de discipliner les capricieuses embouchures.

La Gironde, le long des quais de Bordeaux, offre une largeur moyenne de 550 mètres, avec des profondeurs d’eau de 4 à 6 mètres. Le port sur la rive gauche a un développement linéaire de 7 kilomètres, entre la gare maritime, annexe de la gare du chemin de fer du Midi (Bordeaux à Cette) et la cale de Bacalan, où ancrent les grands paquebots à vapeur de la Compagnie des messageries maritimes. Il y a 1,200 mètres de quais et près de 4,000 mètres de cales. Sur la rive droite se dessinent la gare du chemin de fer de Paris