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entre eux, car il s’agissait, avant tout, de sauver les gardes de Paris. On fit lestement filer ceux-ci par le chemin de ronde, on leur ouvrit une petite porte dissimulée dans la muraille et qu’on nomme « la porte de secours » parce qu’en cas de révolte des détenus elle permet d’introduire une force suffisante dans la prison. Les soldats, soustraits à la vue des fédérés, furent réunis en liberté dans le couloir de la quatrième division. Ceci fait, on passa leurs armes aux insurgés à travers les barreaux de la grande grille, et on parlementa. Le directeur essayait de faire entendre raison au capitaine fédéré, et il n’aurait sans doute pas obtenu grand succès s’il n’eût été appuyé par deux ou trois surveillans, anciens gendarmes, liés par une sorte de confraternité militaire avec les gardes de Paris et qui sortirent devant la prison pour se mêler aux groupes menaçans.

Le plus ardent de tous les fédérés était un sergent fourrier, Belge de naissance, qui demandait que tous les soldats « de Trochu » fussent passés par les armes. Il ne voulait entendre ni objection, ni observation ; à tout ce qu’on lui disait, il répondait : « Ils ont tiré sur nous hier à Montmartre. » Quand on lui expliquait que cela était impossible, puisque ces hommes étaient de service à la prison depuis quarante-huit heures, il ripostait : « Ça ne fait rien ! » Ce fut un surveillant nommé Eve, homme extrêmement doux, qui se chargea de le chambrer ; il l’emmena plusieurs fois chez le marchand de vin, invita aussi quelques fédérés, paya toute sorte de « tournées, » et, aidé de ses camarades, qui péroraient de leur mieux, il parvint à obtenir que les gardes de Paris auraient la vie sauve. « Ce sont des prisonniers de guerre, disait-il ; vous ne tueriez point des Prussiens, à plus forte raison vous ne tuerez pas des Français. » La foule assemblée l’écoutait, l’approuvait et répétait comme lui : « Non, on ne peut pas les tuer ! » Il fut alors décidé que les gardes de Paris, placés au milieu des fédérés, seraient conduits, en deux détachemens, sur la route de Vincennes. Cette convention fut loyalement observée : trois des gardes s’étaient évadés à la faveur de costumes prêtés par le brigadier Brémant ; les soixante hommes qui avaient été internés à la quatrième division sortirent, furent escortés jusqu’au-delà de la barrière et se rendirent à Versailles. Il est heureux pour eux que Ferré ou Raoul Rigault n’ait point passé par là au moment où ils quittaient la prison.

Le 21 mars, le directeur régulier fut révoqué sur l’ordre de Duval et remplacé par Mouton, ce cordonnier dont nous avons déjà dit quelques mots en parlant de Saint-Lazare. Le greffier, le brigadier, qui avaient déployé une intelligente sollicitude pour le salut des gardes de Paris, furent destitués. En réalité, la maison resta sans direction, car Mouton était aussi incapable que doux ; chacun