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matières alimentaires; la pâte qui fermente, le foin, l’avoine, toutes les graines infusées en fournissent des quantités prodigieuses; on en rencontre toujours des légions dans l’estomac et le canal intestinal. « N’y a-t-il donc, demande M. Colin, dans ces myriades de bactéries, qu’une fois sur cent, sur mille, quelques bactéridies charbonneuses? » On peut encore, nous dit le même expérimentateur, s’assurer que les liquides chargés de vibrions qu’on obtient par la putréfaction des substances animales les plus diverses sont souvent sans effet sur l’organisme. Il a inoculé du sang putréfié à des chevaux dans des scarifications dont le nombre a été de plusieurs centaines, sans réussir à déterminer la septicémie. Il a fait avaler à un mouton, tous les deux ou trois jours pendant un mois, 200 grammes d’eau putride ou de sang putréfié, sans que la santé de l’animal fût altérée. Tous ces faits prouveraient, selon M. Colin, que les vibrions n’envahissent l’organisme que s’ils y trouvent un milieu tout préparé pour les recevoir.

M. Pasteur a observé des faits analogues, mais il les explique autrement. Ayant voulu, au cours de se? récentes recherches sur la septicémie, produire cette maladie par l’inoculation, il a eu recours à du sang de bœuf abandonné à une putréfaction spontanée; or, pendant quatre mois, il n’a pu réussir à obtenir dans ces conditions un sang franchement virulent ; dans aucun cas, la putréfaction étant abandonnée au hasard, sans ensemencement direct, le vibrion septique ne prit naissance ou du moins ne se développa en assez grande abondance pour produire la septicémie. M. Pasteur se borne à conclure de ces faits qu’il est nécessaire de purifier la semonce de vibrions pour qu’elle soit féconde : on y parvient facilement par des cultures répétées. Toutefois il reste là incontestablement plus d’une difficulté à résoudre ; mais n’oublions pas que nous sommes sur un terrain qui commence seulement à être exploré. M. Pasteur continue d’y frayer sa route et de déblayer les obstacles. En attendant que ses théories soient acceptées, elles ont déjà conduit à des résultats pratiques. Il suffit de citer à cet égard le pansement ouaté du docteur A. Guérin et le traitement antiseptique que le célèbre chirurgien écossais, le docteur Lister, a inauguré dans les hôpitaux d’Edimbourg. Ces éminens praticiens ont été guidés par des vues théoriques sur la possibilité d’écarter l’infection des plaies en les protégeant contre les germes charriés par l’air, et le succès qu’ils ont obtenu est bien fait pour donner confiance aux partisans de la panspermie.


R. R.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.