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REVUE. — CHRONIQUE.

charbonneux, le plus souvent on est exposé à recevoir un sang à la fois charbonneux et putride, car les cadavres des animaux frappés restent généralement abandonnés un ou deux jours avant d’être enlevés par l’équarrisseur. L’expérimentateur opère donc sur un liquide où les bactéridies commencent déjà à disparaître faute d’oxygène, et où les vibrions de la putréfaction ont déjà pullulé. Ce liquide étant inoculé à un animal vivant, la maladie qui en résultera sera non pas le charbon, mais la septicémie ou putréfaction spontanée. Telle est l’explication des cas où du sang charbonneux a déterminé la mort sans qu’on ait vu apparaître la bactéridie. Mais la mort est-elle due au « virus septique » qui, d’après M. Davaine, tue à des doses infinitésimales, ou bien à un simple vibrion ?

Pour vérifier ces conjectures, M. Pasteur a fait, au mois de juin dernier, le voyage de Chartres. Avec le sang d’un mouton mort depuis seize heures, qui ne contenait que des bactéridies, on obtint par l’inoculation le charbon ordinaire ; avec celui de deux animaux conservés depuis quelques jours, qui renfermait beaucoup de vibrions, on obtint la mort sans bactéridies. Mais l’autopsie des cochons d’Inde auxquels avait été inoculé ce sang putride révéla un fait capital : les muscles étaient farcis de vibrions mobiles, et ces vibrions foisonnaient dans la sérosité de l’abdomen. Ainsi la mort était due aux ravages exercés par les ouvriers ordinaires de la putréfaction. Si on les a cherchés en vain dans des cas semblables, c’est qu’où les a cherchés dans le sang, où ils n’apparaissent qu’en dernier lieu, après avoir achevé ailleurs leur sinistre besogne. Encore dans ce liquide deviennent-ils presque méconnaissables : ils s’y épanouissent, s’y allongent démesurément, jusqu’à dépasser le champ du microscope. En outre, le vibrion y prend une translucidité qui le dérobe à l’observation. « Cependant, dit M. Pasteur, quand on a réussi à l’apercevoir une première fois, on le retrouve aisément, rampant, flexueux, et écartant les globules du sang comme un serpent écarte l’herbe dans les buissons. » Avant l’apparition du vibrion, le sang d’un animal ainsi empoisonné n’est pas encore virulent, tandis que les sérosités où il pullule déjà le sout au plus haut degré. Qu’on expose maintenant ce vibrion au contact de l’air ou de l’oxygène, on le verra, non pas mourir, mais se recroqueviller et se changer, dans l’espace de quelques heures, en corpuscules brillans. Et ces corpuscules ou spores pourront ensuite engendrer une nouvelle armée de vibrions filiformes dans un milieu approprié. Voilà donc l’explication simple et naturelle des faits observés par M. Paul Bert, et aussi de ceux qui ont été annoncés par M. Signol, car c’est précisément en vérifiant la virulence du sang d’un cheval asphyxié que M. Pasteur avait déjà vu le long vibrion onduleux ou vibrion septique. Ainsi tout porte à croire que la septicémie, ou putréfaction sur le vivant, est, comme le charbon, une véritable maladie parasitaire provoquée par un vibrion qui se développe d’abord dans les intestins, et