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organismes vivans. D’un autre côté, M. Chauveau veut que l’action virulente des liquides vaccinal et morveux réside dans des corpuscules solides qu’ils tiennent en suspension, ce qui n’exclut pas l’hypothèse que le principe toxique imprègne simplement ces petits corps, qu’il s’y fixe comme l’hématocristalline du sang se fixe sur les globules rouges. On aurait donc pu, à la rigueur, ne voir dans les bactéridies que les véhicules d’un « virus charbonneux. »

C’est le désir de porter la lumière au milieu de ces contradictions qui a engagé M. Pasteur à entreprendre l’étude de ce grave problème avec un collaborateur aussi habile que dévoué, M. Joubert, professeur au collège Rollin. Il a commencé par constater que la bactéridie est le seul organisme qui existe dans le sang charbonneux frais, que par conséquent il devient facile de la cultiver à l’état de pureté. Il suffit en effet d’extraire le sang du corps de l’animal charbonneux par un procédé qui le mette à l’abri des poussières de l’air, pour qu’il se montre imputrescible, et ne soit peuplé que par les bactéridies. Ensuite on peut continuer la culture du micro-parasite dans un liquide quelconque, approprié à sa nutrition; un de ceux qui lui conviennent le mieux est l’urine rendue neutre ou légèrement alcaline. A l’origine de ses observations, M. Pasteur avait fait venir de Chartres un peu de sang charbonneux; «depuis lors, dit-il, la bactéridie, sans cesse cultivée, a passé maintes et maintes fois de nos vases de verre dans d’autres vases pareils ou dans le corps d’animaux qu’elle a infectés, sans que sa pureté ait été un seul jour compromise. Si cela était nécessaire, nous pourrions préparer des kilogrammes de la bactéridie charbonneuse en quelques heures en nous servant de liquides artificiels et morts, si l’on peut ainsi parler. » Chaque culture nouvelle ayant été toujours ensemencée avec une goutte empruntée au milieu précédent, il est permis de supposer qu’au bout de plusieurs mois les bactéridies des dernières cultures étaient entièrement purifiées de toute trace du sang qui en avait fourni les premières boutures, et pourtant elles étaient tout aussi efficaces que du sang charbonneux frais.

On pourrait supposer, à la vérité, que le virus du charbon est un ferment soluble, produit par la bactéridie, et qui se régénère avec elle, — ou bien un virus à granulations (microscopiques, analogue à ceux que renferment, d’après M. Chauveau, les autres liquides virulens, et qui se reproduirait à la façon d’un organisme, indépendamment de la bactérie. Cette dernière hypothèse, déjà bien invraisemblable en elle-même, ne paraît guère compatible avec la limpidité extraordinaire des liquides où M. Pasteur a cultivé ses bactéridies. Quant à la première, — celle d’un ferment soluble, — M. Pasteur pense l’avoir définitivement écartée en montrant que les liquides de ses cultures, ou le sang charbonneux lui-même, une fois débarrassé par la filtration de leurs bactéridies, peuvent être injectés impunément sans produire le charbon ni le