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et sans issue, comme nous le croyons, n’ont à coup sûr aujourd’hui d’autre intention que de consulter régulièrement la France, et ce sera à la France de répondre. Seule, elle peut trancher souverainement la question par son suffrage. Que répondra-t-elle ? Le pays est placé entre les deux camps, entre les partis qui se disputent son vote : il saura bien reconnaître les siens, et il n’est point impossible après tout que dans sa tranquille modération il ne fasse sentir à tous le poids de ses vœux, de ses désirs et de ses sentimens intimes. Le pays, plus sage et mieux avisé qu’on ne le pense, hésitera sans doute à voter pour des partis qui ne pourraient lui offrir, après la victoire, que des compétitions implacables et des convulsions nouvelles. Que pourrait-il gagner à encourager les légitimistes, qui, seuls, croient à une résurrection possible de la royauté de M. le comte de Chambord, ou les bonapartistes, qui ne pourraient triompher qu’au prix des plus redoutables crises, en livrant de nouveau la France à une domination qui l’a conduite là où elle est, qui pèse encore sur elle du poids de tous les désastres de 1870? Le pays, dit-on, votera pour M. le maréchal de Mac-Mahon. Ce serait fort bien; mais M. le président de la république n’est qu’un homme, un chef d’état temporaire, dont les pouvoirs, dans tous les cas, expirent en 1880, et dont le patriotisme se refuserait à laisser après lui le vide ou d’inévitables conflits entre les alliés compromettans qui se servent de son nom. Ce ne serait qu’un expédient, ce ne serait pas une solution, et c’est une véritable puérilité de dire à une nation tout entière : Ne vous inquiétez pas, tout est assuré, vous avez un gouvernement jusqu’en 1880, — après 1880, le déluge!

Le pays, avec son instinct sûr, dans les dispositions où il paraît être, votera sans doute, non contre M. le président de la république personnellement, mais pour les institutions dont les pouvoirs de M. le maréchal de Mac-Mahon sont inséparables, qui, pratiquées avec fermeté et intelligence, sont une garantie suffisante, et que rien d’ailleurs en ce moment ne peut remplacer. Il votera pour ce qui existe, pour ce qu’il voit, pour sa propre conservation par un régime régulier. A ceux qu’il va choisir il ne donnera pour sûr d’autre mandat que de lui épargner des épreuves nouvelles, de lui assurer la paix, la sécurité, dans un ordre légal où l’autorité nécessaire du gouvernement peut se concilier avec les garanties libérales représentées par le parlement. Le pays, après tout, au jour du vote, retrouve une certaine liberté spontanée dont il saura user en dépit de toutes les influences contraires; mais ce qu’il ne faut ni dire ni laisser dire, parce qu’on ne fait ainsi que donner un prétexte aux suspicions, aux défiances propagées à l’étranger, c’est que, si la France usait de cette liberté d’une certaine manière, si elle réélisait une majorité favorable à la république, elle serait fatalement vouée à l’anarchie. Il y a en Europe des politiques, même si l’on veut des personnages