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REVUE. — CHRONIQUE.

querelles sont incessantes. N’importe, ils se retrouvent d’intelligence pour marcher du même pas contre la république, pour harceler le gouvernement, pour l’exciter à tenir ses promesses, à dégager les conséquences du 16 mai. Le ministère a beau y mettre tout son zèle, il n’a jamais fait assez. Si, pour les modérés qui ne peuvent se résigner à le suivre dans sa dangereuse carrière, il est allé déjà beaucoup trop loin, pour ses alliés impatiens il ne va pas assez loin, il tergiverse trop. Que tarde-t-il? Il n’a pas encore renouvelé tous les maires, tous les juges de paix, il a touché à peine aux employés de finances. S’il poursuit les journaux, ce n’est pas assez, on lui demande de les supprimer. Si le droit commun ne suffit pas, que n’établit-il l’état de siège? Ce sera peut-être fort peu légal, qu’à cela ne tienne, on dira que c’est pour protéger la « liberté des élections! » Si les moyens réguliers sont décidément inefficaces, s’il y a encore quelque résistance, qu’on aille jusqu’au coup d’état sans craindre ni le mot, ni la chose, et si M. le ministre du conseil est retenu par quelques scrupules, qu’il cède la place, qu’il laisse à ceux qui n’ont pas de ces inquiétudes doctrinaires le soin d’aller jusqu’au bout. L’essentiel est de ne pas s’arrêter en chemin, d’évincer la république, et c’est ainsi qu’à côté des manifestations officielles par lesquelles on déclare toujours vouloir rester sur le a terrain constitutionnel, » il se fait tout un travail poussant par degrés le gouvernement hors des voies régulières, séparant le pouvoir personnel de M. le maréchal de Mac-Mahon de la constitution, menaçant le pays de crises nouvelles, de dissolutions réitérées de la chambre s’il ne vote pas bien, créant en un mot une incertitude dont le ministère ne se trouve pas mieux que la France tout entière.

Il faut cependant sortir de là, et précisément un des inconvéniens les plus graves de l’ajournement des élections au 14 octobre, c’est de prolonger sans une nécessité évidente cette situation troublée. Ceux qui parlent sans cesse de coups d’état, de régime militaire, de moyens irréguliers et violens, méconnaissent certainement le caractère de M. le président de la république; ils l’offensent en croyant le flatter et le tenter. M. le maréchal de Mac-Mahon, peu accoutumé aux complications de la vie parlementaire, a pu s’exagérer un danger, se faire une idée particulière de la politique, et en exerçant un droit incontesté par la nomination d’un nouveau ministère, par la dissolution de la chambre, il a cru remplir un devoir comme chef de l’état; il n’a point eu évidemment la pensée de s’élever au-dessus de la constitution, de substituer aux lois sa volonté, d’imposer à la France ses candidats au prochain scrutin, et pas plus que M. le président de la république le ministère n’est probablement disposé à faire toutes les belles choses dont on nous assourdit. Le chef de l’état et le ministère, eussent-ils moins bien servi les intérêts conservateurs qu’ils ne l’ont cru, eussent cru engagé une partie périlleuse