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REVUE. — CHRONIQUE.

insu un certain nombre de représentans sur lesquels il ne comptait probablement pas, et qui n’avaient aucune raison de se croire de si faciles complaisans des communes passées ou futures.

Fort bien, les radicaux ont pullulé, à ce qu’il paraît, depuis quelque temps, et le mot d’ordre est de les combattre à outrance, de ne pas en laisser passer un seul dans les élections, si c’est possible. Si on réussit pour quelques-uns, ce sera on ne peut mieux, nous ne perdrons sûrement rien. Lorsque le ministère et ses amis frappent juste et signalent au bon sens public les démagogues qui exploitent le suffrage universel, les esprits révolutionnaires qui déploient dans les journaux ou dans les chambres leurs programmes de destruction, il n’y a rien à dire; mais en vérité à qui espère-t-on en imposer avec cette orthodoxie nouvelle qu’on vient de créer pour la circonstance et en dehors de laquelle il n’y aurait que des révolutionnaires? A qui persuadera-t-on que des hommes comme M. Thiers, M. Bérenger, M. Léon Renault, M. Laboulaye, M. Dufaure, M. Say, qui ont été et qui restent les adversaires du 16 mai, des partisans de la république constitutionnelle, sont des radicaux? Nous nous souvenons qu’un jour, en pleine commune, au mois d’avril 1871, M. Thiers était obligé d’aller menacer l’assemblée de Versailles de sa démission si on ne laissait pas au gouvernement le droit de nommer les maires dans les villes de France. Il n’obtenait qu’une partie de ce qu’il aurait voulu, il faisait des concessions. Ce jour-là apparemment il n’intervenait pas avec cette vivacité dans un intérêt révolutionnaire, et contre qui avait-il surtout à lutter? Précisément contre quelques-uns de ceux qui l’accusent aujourd’hui de radicalisme, — qui regrettent bien au fond que M. Thiers ne leur ait pas arraché en 1871 la nomination des maires dans toutes les communes françaises.

Avec ces iniquités de parti, avec ces exagérations injurieuses ou puériles contre des hommes éminens qui restent un honneur par leurs services, une force par leurs conseils, on ne prouve rien en voulant trop prouver; on va plutôt contre le but qu’on se propose, et plus on s’évertue à rejeter arbitrairement dans les rangs du radicalisme des hommes supérieurs ou distingués qui ne représentent notoirement que des idées de modération, moins on effrayera le pays sur les conséquences de la réélection d’une majorité où de tels chefs retrouveraient nécessairement une influence prépondérante. On risque de n’être pas pris au sérieux. De bonne foi, croit-on qu’avec M. Thiers, qui a toujours revendiqué les droits de l’état contre ses adversaires d’aujourd’hui, avec M. Léon Renault, qui a été le préfet de police de M. le maréchal de Mac-Mahon, et qui n’est point disposé à désavouer ce qu’il a fait, avec M. Bérenger, qui a été un magistrat courageux avant d’être un parlementaire résolu, avec bien d’autres, les intérêts conservateurs resteraient sans défense et sans garanties? Que le radicalisme soit un danger, que les idées fausses auxquelles des républicains sensés eux-mêmes se laissent trop souvent