Œuvre de nécessité et de raison, la république n’en est peut-être
que plus forte, et en définitive, telle qu’elle a été organisée par la constitution du 25 février 1875, avec le caractère qu’elle a pris, elle est faite
pour rallier tous les modérés, libéraux, conservateurs, républicains
sensés, constitutionnels éclairés par l’expérience. A tous elle offre des
garanties: un pouvoir exécutif suffisamment armé, un régime parlementaire représenté par deux chambres, un sénat modérateur, un gouvernement pondéré et contrôlé. Que faut-il de plus? M. le président
de la république parle souvent et il parlait récemment encore à Bourges
du « terrain constitutionnel » sur lequel il entend rester. Soit, la constitution avec ses garanties, ses conditions, ses lois, la constitution acceptée simplement, sans arrière-pensée et sans réticence, nous ne demandons rien de plus. C’est le seul point solide, c’est là qu’est la
force réelle qui peut parfaitement suffire, si l’on sait s’en servir, même
contre le radicalisme. Le malheur du gouvernement, c’est de n’avoir
qu’une foi médiocre dans cette légalité constitutionnelle ou du moins
de l’interpréter avec une étrange liberté et de se mettre de toutes parts,
à chaque instant, en dehors ou à côté de la loi dans un intérêt supérieur de salut public qui est le facile prétexte de toutes les dictatures. Il s’est créé cette position singulièrement significative où il a
pour amis, pour alliés, ceux qui veulent détruire les institutions dont
il est censé être le gardien, et pour adversaires ceux qui, à des degrés
divers, s’en tiennent à ce « terrain constitutionnel » sur lequel M. le
président de la république dit qu’il veut rester. Le ministère, qu’il l’ait
voulu ou qu’il ne l’ait pas voulu, a tous les embarras, la faiblesse de
ces politiques à la fois téméraires et indécises, qui après avoir dévié
du premier coup ne savent comment revenir sur leurs pas, qui tournent autour de la légalité en paraissant la respecter, et font toujours
trop pour les uns, pas assez pour les autres.
Un journal anglais, organe retentissant de l’opinion, se permettait récemment, à propos de nos affaires, une piquante allusion à un personnage de Thackeray, Brian, membre conservateur aux communes, qui, s’excitant lui-même pendant son déjeuner à la lecture d’un article d’opposition, s’écrie en brisant la coque de son œuf : « L’esprit des radicaux des campagnes est terrible, nous sommes vraiment au bord d’un volcan! » Et il plonge la cuiller dans son œuf. Le trait est vif et peut-être malheureusement assez justifié. Notre gouvernement ressemble un peu à ce Brian. A ses yeux, le radicalisme est terrible et il est partout. C’est pour combattre le radicalisme qu’il a fait le 16 mai et qu’il poursuit encore une si active campagne contre les journaux qui vont infester la province. Tous ceux qui ne souscrivent pas à la politique du 16 mai, quels que soient leur passé, leurs traditions, leurs opinions, sont indistinctement des radicaux ou, ce qui est peut-être pis, des complices aveugles des radicaux. Le radicalisme se trouve ainsi avoir acquis à son