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ébloui de tous ces tons lumineux et chauds, revient poser doucement ses yeux sur ce sombre retroussis d’alpes fraîches où chaque prairie se montre doublée d’une tranche de forêt ; il aspire avec délices les senteurs résineuses que le vent lui en apporte ; il cherche machinalement à faire le compte des villas qu’il aperçoit à tous les étages du mont, car la superbe déclivité qui s’arrondit au-dessous des huttes et des pâtis est devenue le lieu préféré de villégiature des habitans aisés de Sion. Avoir un pavillon aux Mayens est le rêve qui hante tout marchand de la petite ville derrière son comptoir. Retraite délicieuse en effet, et aussi commode que délicieuse, où l’on peut se rendre sans fatigue et d’où l’on revient à ses heures. Des fenêtres de son chalet blanc, de sa terrasse de verdure, le citadin voit se mouvoir hommes et bêtes sur la chaussée du Grand-Pont ; il peut en quelque sorte surveiller de loin la porte de son logis. Bref, le site est si riant, d’une tranquillité et d’une fraîcheur si rassérénantes, qu’il a été question d’y bâtir un hôtel-pension pour les étrangers. Les cliens n’auraient certes pas manqué ; mais les « consorts » de la montagne, comme on dit là-bas, ne l’ont point entendu ainsi. Un des charmes principaux de cet agreste séjour, c’est l’absolue liberté d’allure, d’accoutrement et d’existence que la solitude y autorise : avec des hôtes, adieu ce cher abandon ; voilà l’étiquette et toutes ses menues tyrannies qui envahissent le charmant désert, voilà la nature esclave du qu’en dira-t-on. Que de silencieux et romantiques recoins de la Suisse ont été ainsi gâtés par ces phalanstères guindés qu’on appelle des hôtels-pensions !

Les Mayens de Sion, tels que je viens de les décrire, n’en représentent pas moins une espèce d’alpage à quelques égards aristocratique ; des routes nombreuses et bien tracées y conduisent, le télégraphe lui-même ne dédaigne pas d’en escalader les pentes inférieures. Si haut qu’ils aillent, le pâtre et le « chaletier » ne cessent point d’y avoir relativement leurs aises ; la vache laitière elle-même n’y éprouve, j’imagine, que douces émotions. Point de ces gorges sombres, de ces défilés à pic par où dévalent avec fracas les torrens ; point de ces vires caillouteuses et vertigineuses, de ces creuses béantes où l’on chemine avec des frissons ; les tempêtes même ne trouvent pas à s’engouffrer là comme il faut ; l’horrible y manque absolument. On aperçoit bien de l’autre côté les grandes cimes bardées de glaces et de névés qui ferment au sud les vallées d’Hérens et d’Hérémence, on discerne même de certains endroits la farouche pyramide du Cervin ; mais tout cela n’est qu’une affaire d’encadrement inoffensif et lointain, une série de tableaux émouvans appendus aux murs d’un bon intérieur. Sans trop m’éloigner de Sion et sans dépasser la zone moyenne des pâturages, je veux